Entretien avec David Mignot, Directeur Général Afrique du groupe CANAL+

photo de David Mignot, Directeur Général de Canal + Afrique

David Mignot, 50 ans, est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Télécommunications et titulaire d’un DEA d’Économie de l’Université Paris Dauphine. 

Il a débuté sa carrière en 1996 au sein du cabinet de conseil Bossard Consultants, spécialiste des secteurs de la Télévision Payante et des Télécoms.  

Co-Fondateur et Directeur Général de Parabole Réunion de 1999 à 2008, David Mignot rejoint ensuite le Groupe Outremer Telecom en tant que Directeur Général Délégué.

En 2011, David Mignot entre dans le Groupe Canal+ comme Directeur des Opérations Afrique en charge du plan stratégique. Depuis juin 2013, il est Directeur Général Afrique du Groupe CANAL+.

La CAN vient de débuter et vous avez déployé de gros moyens pour que vos abonnés puissent suivre l’intégralité des matchs dans les meilleures conditions. Néanmoins pour la première fois la totalité des matchs sera également retransmise dans chaque pays sur une voire 2 chaines gratuites nationales. Comment explique-t-on cette situation ? 

Auparavant la diffusion « intégrale » des matchs était l’apanage des opérateurs de TV payant et il y avait un « pack free to air » avec un nombre de matchs significatif mais limité car il n’est pas évident et pas toujours pertinent pour une chaine gratuite d’acheter et de diffuser tous les matchs. En 2024, ma compréhension c’est qu’en Côte d’ivoire par exemple la RTI et NCI diffuseront tous les 2 la totalité des matchs. 

Pour la CAN 2023, nous avions acquis depuis longtemps les droits en « PayTV » en Français. New world TV a acquis récemment les droits « Pay » dans les autres langues et les droits toutes langues « free on air ». Cela permet à New world TV de vendre aux chaines gratuites publiques et privées africaines. New World TV aurait par exemple vendu les droits Pay TV en Wolof,  à EXCAF au Sénégal

Au Sénégal et au Cameroun la RTS, la CRTV et CANAL2 international diffuseront également la totalité des matchs …

…Nous sommes d’autant plus heureux d’avoir pu obtenir ces droits il y a quelques années à des conditions correctes. 

Sur des compétitions comme la Coupe du monde, l’Euro ou la CAN, nous avons, depuis très longtemps, une vision très ouverte du sujet. Nous ne cherchons pas à être l’unique diffuseur ni à être détenteur des droits gratuits à commercialiser ensuite aux autres chaines.

Pour nous, il est important de pouvoir diffuser l’intégralité des matchs avec notre propre approche éditoriale pour nos abonnés mais l’exclusivité est secondaire.

Nous avons ainsi décidé de créer notre chaine éphémère CANAL+ CAN il y a un an, compte tenu du fait que la Côte d’ivoire, pays organisateur, est un pays important pour nous et de proposer le meilleur traitement éditorial dont nous étions capables pour faire la « BEST CAN EVER ». En Côte d’Ivoire, la RTI a également mis en place un très gros dispositif, et NCI également. La qualité du traitement éditorial va être très élevée sur ces 3 chaines et cela va être une vraie fête du football en Côte d’ivoire pour le plus grand bonheur des téléspectateurs.

Néanmoins dans certains pays, les chaines n’ont pas le même niveau de moyens pour gérer un tel événement et dans ces pays CANAL a un rôle important à jouer. 

Par ailleurs, il me parait très compliqué au vu de la réalité des marchés publicitaire locaux de rentabiliser l’investissement – on parle de 500 000 à 1,5 millions d’euros par chaine pour les droits de la CAN – surtout en commercialisant les espaces publicitaires si tard. Les droits sont donc souvent, « sponsorisés » par les États. Néanmoins, s’ils avaient pu acheter ces droits 9 mois en avance, la plupart des pays auraient probablement pu mieux rentabiliser l’événement. 

Face à cette concurrence accrue, avez-vous constaté un impact sur la prise d’abonnements en ce début d’année ?

Aujourd’hui New World TV se positionne aussi bien sur les acquisitions de droits sportifs en français qu’en anglais, à des niveaux très agressifs et en recherchant l’exclusivité. La CDM 2022 où ils ont obtenu l’exclusivité des droits PAY a été leur premier coup d’éclat. 

Non. La consommation d’abonnement en cette période de vacances, de fête et de football est au rendez-vous : une partie significative des foyers ivoiriens, par exemple,   est équipée d’une offre de télévision élargie (TNT, Satellite, Cable) et l’accès de la compétition est suffisamment accessible pour  que les gens aient envie d’avoir un traitement multiple de l’événement pour vivre une vraie fête du football.


Au-delà de ce qui se passe pour la CAN 2023, l’arrivée de New World TV constitue-t-elle une nouvelle menace pour le Groupe CANAL+ ou concerne-t-elle essentiellement les opérateurs anglophones ?

Sur cette question il y a plusieurs aspects : : New World TV c’est un bouquet de chaines de TV sur un satellite (Eutelsat) sur lequel il y a aussi beaucoup de chaines gratuites couplé à une distribution OTT chez les opérateurs télécoms. Ce n’est pas le premier concurrent auquel nous devons faire face. Nous constatons d’ailleurs que son arrivée coïncide avec un affaiblissement de l’agressivité de Startimes sur les zones francophones. 

C’est donc, bien sûr une menace concurrentielle sérieuse en matière de pression sur le parc d’abonnés, mais la concurrence est normale et on y est habitué. Nous avons su gérer la situation avec Startimes, et face à d’autres compétiteurs nous la gérerons face à New World.

Le marché africain des droits est assez particulier : depuis des années nous avons des compétiteurs qui ne payent pas les droits : les pirates. Dans quasiment tous les pays il y a des acteurs qui diffusent allègrement les grandes compétitions sportives sans en avoir les droits. 

Auparavant, nous évitions les surenchères trop importantes avec une intensité sur les prix qui était maitrisée même si l’activité concurrentielle était forte via le piratage.

La nouvelle donne avec New World TV, c’est que nous allons conserver la pression sur la partie « top line », via le piratage qui va perdurer voire risque de s’amplifier avec la fragmentation de la diffusion des droits mais cela va également augmenter la pression sur la structure de coût du marché. la nôtre comme la leur. C’est une nouvelle donne stratégique. 

Une question qui perdure sur cet acteur émergent, c’est le mystère de ses sources de financement. La lumière se fera mais, à date, personne ne semble connaitre l’actionnariat précis, ni les banques ou autres fonds d’investissements qui les soutiennent. Et pourtant les investissements mis en jeu dans les appels d’offres en cours se comptent en centaines de millions d’euros. 

New World a annoncé avoir également les droits de la CAN pour 2025. Qu’en est -il pour le groupe CANAL+ ?

Nous avons déjà négocié les droits PAY TV pour la CAN 2025, qui sera donc, comme la CAN 2023, diffusée sur CANAL+ . Nous conserverons probablement le principe d’une chaine évènementielle « CANAL + CAN » car le format semble bien fonctionner pour ce type de compétition. 

En dehors de l’Afrique francophone, vous avez augmenté de manière régulière votre participation dans Multichoice. A quels objectifs stratégiques cela répond-il ?

Multichoice est un acteur que l’on connait depuis longtemps. Il n’y a jamais eu dans le passé de possibilité d’entrer à son capital qui n’a été coté en bourse que très récemment, juste avant le COVID. 

Pendant le COVID, les valeurs des opérateurs ont beaucoup baissé et nous y avons vu une vraie opportunité pour prendre une participation sur un actif très dévalué par la bourse de Johannesburg. Nous croyons à l’audiovisuel et nous croyons à son développement sur le continent africain.

Au-delà de l’opportunité financière, il y a un intérêt stratégique assez évident à consolider les coopérations entre les 2 sociétés : elles ont une complémentarité géographique totale, elles ont un canevas stratégique très proche, elles doivent faire face à des menaces similaires comme le piratage ou l’arrivée des plateformes américaines qui disposent de moyens très importants. Nous avons donc un intérêt objectif à renforcer des collaborations dans le domaine de la production de séries, des achats de droits sportifs, de l’édition de chaines …

Exemple : nous avons acquis les activités « contenus » d’Iroko en 2019 et éditons maintenant 6 chaînes dont 4 sous la marque ROK :  2 chaines ROK 1, ROK 2 pour Multichoice, ROK Gh diffusée au Ghana , ROK pour le bouquet africain de la diaspora sur Sky et 2 chaines pour CANAL+ : Nollywood et Nollywood Epic ce qui nous permet de sécuriser la production et la diffusion de contenus Nollywood.  

Autre exemple, d’une façon générale, les langues locales dépassent les frontières des zones historiques anglophones, francophones. Il me semble qu’on a donc intérêt à co-produire aussi des programmes en langues locales. (le swahili, le peul, l’haoussa… sont parlées à la fois sur des territoires couverts par CANAL+ et sur des territoires couverts par Multichoice). Et ensuite chacun fait ensuite ses chaines et ses offres.

Ainsi, Canal produit 4 000 h de production africaine annuelle ; Multichoice  6000 h ce qui constituera dans quelques années face aux plateformes digitales notamment américaines un différentiant compétitif puissant. 

Cette menace des plateformes parait encore lointaine en particulier en Afrique francophone. Vous la voyez se concrétiser à quelle échéance ?

Les plateformes américaines vont avoir besoin de chercher de la croissance à un moment ou à un autre et définir un plan stratégique dédié sur le continent africain. Il faut qu’on soit prêt à ce moment-là. 

L’Afrique compte 50 pays et 1,2 milliards d’habitants, et quand on creuse, on se rend compte que ce n’est pas un monolithe culturel, ni linguistique et qu’il faut faire l’effort de la fragmentation l’adaptation, les langues….

Historiquement Netflix, par exemple, a pu se développer en s’appuyant sur 2 évolutions de leur écosystème historique de location de DVD :  le haut débit et des moyens de paiement comme la carte bancaire et Pay pal.

Dans les faits, en Afrique, il y avait des freins à l’entrée pour les plateformes. Aucun n’est irrémédiable mais cela reste compliqué.

Ainsi, le coût de la data reste élevé, dans de nombreux pays, ce qui est incompatible avec un modèle « illimité » et le cash-collect, qui était inexistant il y a quelques années, se développe. Ces 2 freins au modèle des plateformes existent mais vont disparaitre petit à petit. 

Un troisième frein est lié au contenu et à la diversité des langues Il faut beaucoup d’effort et du temps pour le surmonter. 

Le 4ème frein concerne les spécificités liées à l’établissement de sociétés dans les pays : les règles fiscales se durcissent un peu partout. On ne peut plus collecter des chiffres d’affaires dans un pays sans une forme d’établissement dans ce pays. On ne peut plus vendre un abonnement en collectant de la TVA sans la reverser. Certains hésiteront car c’est un climat des affaires très particulier, très fragmenté et où il existe de l’instabilité économique et politique.

On ne sait pas si les plateformes vont y aller ou pas et sous quelle forme ni à quelle échéance mais nous, nous raisonnons en nous disant que cela va arriver et qu’il faut que l’on soit prêts le jour où cela arrivera. 

Nous parlions d’instabilité politique, les événements qui touchent les pays du Sahel ont-ils eu un impact sur votre activité commerciale 

Sur ce sujet, il y a 2 niveaux de réponse : la réaction des consommateurs et celles des Institutions. 

En ce qui concerne les consommateurs, nous n’avons pas noté de baisse d’activité ni au Mali ni au Niger ni au Burkina Faso. Il n’y a pas eu d’impacts autres que ceux liés au blocage des banques, à la difficulté de circulation…. Au contraire dans nos baromètres, les indices de satisfaction et les intentions d’abonnement sont les plus élevés au Sahel et il y a une raison à cela :  dans un climat d’insécurité, où il est difficile de se déplacer, l’abonnement en TV élargie est souvent le divertissement principal.

Nous n’avons ressenti aucun mouvement anti-Canal car il n’y a pas d’adhérence, d’amalgame entre CANAL, la France, dans la population.

Pour les institutions, les choses peuvent s’avérer  plus compliquées. Dans un premier temps il y a eu des tensions car nous sommes effectivement perçus comme un intérêt français.

Néanmoins passée cette première phase au cours de laquelle nous avons expliqué que nous étions des commerçants du divertissement, avec une ligne éditoriale afro-optimiste – talents d’Afrique,  + d’Afrique , Réussites- sans information ni reportage, les institutions de ces pays se sont rendu compte que CANAL était le premier pôle de divertissement du pays , qu’il équipait une partie importante des foyers, était bon collecteur et payeur d’impôts, développait l’emploi  et les intérêts locaux et diffusait depuis longtemps la totalité des médias nationaux radio et TV sur ses bouquets qui constitue une grosse partie de l’audience.

Aujourd’hui nous sommes plutôt rassurés. 

Le marché publicitaire en Afrique ne semble pas très dynamique en ce moment à part peut-être au Sénégal. Que peut faire CANAL pour changer les choses 

On considère lorsqu’on compare l’Afrique francophone à d’autres zones comparables du monde qu’il existe un décalage entre la réalité économique et le développement du marché publicitaire. 

Il est évident que dans de nombreux pays, le marché publicitaire est sous-évalué. 

La question est donc : comment peut-on travailler sectoriellement pour promouvoir le marché publicitaire TV car il est une des racines du financement de l’audiovisuel local.

Nous restons très mesurés sur notre développement sur les marchés locaux de manière à ne pas affecter des écosystèmes qui sont déjà fragiles. Nous préférons nous concentrer sur les annonceurs panafricains car pour nous l’enjeu est faible alors qu’il est vital pour les chaines locales. 

Le nombre de chaines diffusées par CANAL + augmente régulièrement. Comment allez-vous gérer cette profusion pour améliorer la lisibilité pour vos abonnés ?

Le nombre de chaines est lié au nombre de pays que nous couvrons : il y a une quinzaine de chaines par pays ce qui veut dire que pour nos 20 pays il y a déjà 250 à 300 chaines locales. Suite à ce que nous avons fait en Côte d’ivoire nous disposons maintenant des moyens technologiques pour pouvoir avoir des plans de service différents par pays. Ce n’est pas simple et nous sommes les seuls à l’avoir fait aujourd’hui.

La logique c’est que nous fassions ça partout en Afrique. 

A quelle échéance ?

Dans les 24 -30 mois, je pense, nous aurons terminé la stabilisation technique et, dans chaque pays il y aura une numérotation avec les chaines nationales de la TNT au début, suivies des chaines CANAL puis par les autres chaines nationales des autres pays même si au total il y aura toujours 500 chaines et services dans chaque pays.

Droit de réponse NEW WORLD TV

2 Comments

  1. […] la suite d’un article diffusé le 17 janvier 2024 sur le site internet Adweknow sous le titre «Entretien avec David Mignot, Directeur Général Afrique du groupe Canal+», la société NWTV souhaite apporter les corrections suivantes […]

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