En Afrique comme dans le reste du monde, la révolution du numérique a complètement bouleversé l’industrie musicale. Les nouveaux modes de consommations émergent et les plateformes de musique en ligne se développent. En effet, au cours des quatre dernières décennies, l’industrie de la musique a été confrontée, à travers le monde, à de nombreux bouleversements dont une profonde transformation due au développement numérique et technologique. Ce fait, loin d’être un facteur négatif, procure de la vitalité au secteur musical. Une vitalité qui gagne de plus en plus le continent africain.
Depuis quelques années, la musique africaine a le vent en poupe et s’exporte dans le monde entier. Cependant, l’industrie musicale africaine et principalement celle de la zone d’Afrique francophone, peine à se développer et se structurer. En effet, l’Afrique anglophone constitue un véritable vivier d’initiatives dans le domaine, soutenues notamment par opérateurs télécoms, là où l’industrie musicale se développe timidement côté francophone.
Pourtant, diversité, créativité, richesse musicale, population jeune, fort taux de pénétration du mobile, multiplication des initiatives pour démocratiser l’accès à internet, sont autant d’opportunités pour le développement du streaming musical et de l’industrie dans son ensemble. La digitalisation apparait comme une réelle solution. Même si le marché apparaît encore peu exploité, le continent accueille de plus en plus d’acteurs et d’initiatives dans le domaine. Des géants internationaux aux acteurs locaux, le streaming musical est à l’assaut de l’Afrique francophone.
Des perspectives prometteuses
- Une opportunité démographique
Selon DATAXIS, qui a publié son étude prospective au mois de juin 2022, les revenus du streaming musical africain devraient plus que tripler en 5 ans, passant de 92,9 millions de USD en 2021 à 314,6 Millions d’USD en 2026.
Bien qu’aujourd’hui 86 % des revenus proviennent de 5 principaux pays africains ; Afrique du Sud, Egypte, Nigéria, Algérie et Maroc, DATAXIS entrevoit le signe d’une attractivité du continent dans sa globalité.
L’institut met bien sûr en avant les limitations liées aux infrastructures, à la faible pénétration d’internet dans certains pays et aux faibles revenus de la population. Malgré cela le marché africain représente, grâce à la taille de sa population, un énorme potentiel de croissance.
- Une population jeune et connectée
En Afrique francophone seulement, on compte environ 400 millions de potentiels consommateurs de musique dont 65% ont moins de 25 ans. Le taux de pénétration d’Internet sur le continent qui est aujourd’hui de 22% selon la Banque mondiale, devrait impulser encore plus les revenus du secteur.
Sa population nombreuse et son fort potentiel de croissance en font capitaliser diverses plateformes musicales pour leur expansion.
- Une industrie du mobile en plein boom
Depuis le début de la pandémie mondiale, le mobile, le numérique et les connexions internet sont considérées par beaucoup, comme des outils indispensables. La société GSMA, qui regroupe plus de 750 opérateurs et près de 400 entreprises de l’écosystème mobile, publie dans son dernier rapport intitulé « L’économie mobile en Afrique Francophone subsaharienne » plusieurs tendances à venir de l’industrie mobile :
- le développement de la 4G s’accélère.
- fin 2020, 495 millions de personnes étaient abonnées à des services mobiles en Afrique subsaharienne, soit 46 % de la population de la région.
- à l’horizon 2025, plus de 170 millions de personnes dans la région auront commencé à utiliser l’internet mobile pour la première fois, ce qui portera le taux de pénétration à un peu moins de 40 % de la population.
- Des revenus en hausse
Selon le dernier rapport annuel de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifpi) publié en mars dernier, les revenus générés en Afrique subsaharienne par l’industrie musicale ont augmenté de 9,6 % en 2021. Cette croissance est portée par l’explosion des recettes sur le continent, « rendue possible grâce à la mise à disposition de moyens de paiement autres que la carte bancaire ».
Le streaming musical a connu un développement à deux vitesses sur le continent. Si les plateformes sont bien installées côté anglophone, il reste encore une marge de progression dans la région subsaharienne mais l’Afrique francophone est en passe de devenir un gros marché pour l’industrie du streaming musical.
Les grands acteurs dans les starting-blocks
Autant de perspectives prometteuses qui n’ont pas échappé aux acteurs internationaux du streaming musical …
Certains auront d’ailleurs su profiter de la période de crise sanitaire liée au Covid-19 pour entamer leur développement en Afrique francophone. Apple ainsi lancé son service Apple Music dans une vingtaine de pays africains. Pour la zone francophone, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou encore la République Démocratique du Congo ont ainsi accès au catalogue Apple. L’ambition d’une telle implantation ? marquer une nouvelle étape dans le développement des activités du géant américain en renforçant sa présence à l’international, au lendemain d’une crise mondiale où les plateformes en ligne ont largement été plébiscitées par les populations confinées.
D’autres acteurs ont suivi … En mars 2021, Spotify annonce le lancement de ses activités dans 40 pays africains, officialisant ainsi son entrée en Afrique francophone subsaharienne. Le service est depuis disponible dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou encore le Bénin. Sur l’ensemble de ces nouveaux marchés, la plateforme met à disposition l’intégralité de son catalogue musical, enrichi de nouveaux contenus à travers des collaborations avec des acteurs locaux.
Boomplay, plateforme de streaming musical appartenant à la société chinoise Transsnet Music Limited, est aussi l’un des leaders sur le marché. En 2019, la plateforme comptait plus de 46 millions d’utilisateurs. Lancée au Nigéria en 2015, Boomplay est aujourd’hui présente au Kenya, en Tanzanie et au Ghana. Mais récemment, l’acteur a choisi de mettre le cap sur l’Afrique francophone en y développant ses activités grâce à des accords conclus avec des partenaires implantés sur le territoire. Avec plus de 70 millions d’utilisateurs actifs par mois, 80 millions de chansons et des milliers de playlists accessibles grâce à son service, Boomplay a choisi d’ouvrir récemment des bureaux en Côte d’Ivoire, officialisant ainsi son implantation en Afrique francophone.
Les arrivées successives de ces « géants » sur le marché sont bel et bien le signe d’une attractivité de l’Afrique francophone en matière de streaming musical. Outre les plateformes internationales, les acteurs locaux sont aussi à l’assaut du territoire francophone et entendent bien tirer leur épingle du jeu en s’adaptant aux modes de consommations africains.
Des nouveaux modèles adaptés aux réalités locales
La quantité croissante de smartphones en Afrique francophone ouvre la voie de l’arrivée des plateformes de streaming musicales. A l’heure actuelle, les leaders mondiaux s’implantent sur le marché mais ils ne sont pas seuls : des acteurs locaux vont aussi à la conquête de la zone francophone avec des modèles parfois plus adaptés aux modes de consommation locaux. Pour la plupart, ils adoptent des stratégies sur-mesure, prenant en compte le faible niveau de connectivité, le faible pouvoir d’achat de la population et le piratage qui demeure, dans beaucoup de pays, un véritable enjeu.
C’est le cas par exemple de la plateforme kenyane MDUNDO qui a choisi de travailler en étroite collaboration avec les artistes en leur rétrocédant 50% de leurs revenus. Une stratégie de partenariat aussi mise en avant WAW MUZIK qui, côté francophone, a officiellement lancé ses activités le 28 juin 2022 à Abidjan.
Selon son fondateur, Jean-Philippe Audoli : « Waw Muzik repose sur un modèle qui est moins cher que la piraterie mais qui est aussi une véritable source de rémunération pour les artistes locaux, les ayants droits.
Le projet WAW Muzik est ainsi né pour faire la jurisprudence des modèles existants sur le marché et pour cela, nous avons conclu un partenariat clé avec l’opérateur Orange en Côte d’Ivoire. Ensemble nous avons conçu un modèle de streaming musical pour l’Afrique basé sur un mode de paiement avec la technologie USSD, soit des crédits téléphoniques convertis en musique. Pour nous adapter aux réalités locales et aux modes de consommation, nous avons conçu des offres illimitées jour/3jours/semaine/mois et offert la connexion internet … ».
Au Sénégal, on retrouve aussi la plateforme Deedo entièrement dédiée aux musiques africaines et issues de la diaspora, avec une modèle économique basé sur une version payante illimitée ainsi qu’une version gratuite limité à 4h d’écoute mensuelles. On y retrouve des playlists rythmées par de la rumba congolaise, de l’afrobeat, du rap ivoirien, ou encore du mbalax sénégalais… Ces implantations réussies sont notamment le fruit de partenariats noués avec des opérateurs télécoms.
Toute cette dynamique permet de créer un écosystème favorable de développement de l’industrie musicale en Afrique francophone et ainsi, de générer des revenus profitables à l’ensemble des acteurs du secteur.
La digitalisation de l’industrie musicale est un excellent moyen de valoriser et de développer le continent africain et notamment la partie francophone qui souffre d’un manque de visibilité. Sur le plan économique, la dynamique en marche pourrait permettre l’industrialisation et la structuration de la musique made in Africa, l’augmentation des revenus et le renforcement des capacités des acteurs du secteur, offrant une vraie visibilité aux artistes encore méconnus du reste du monde.
La parole aux acteurs
Entretien avec Paola Audrey Ndengue, Directrice générale de Boomplay Music Côte d’Ivoire