Samir Abdelkrim est entrepreneur, auteur et consultant. Il fonde en 2013 le blog StartupBRICS dédié à l’actualité Tech, Innovation & Startups des BRICS et des pays émergents. Il est également le fondateur d’Emerging Valley, sommet international dédiés aux écosystèmes numériques africains.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Vos travaux sur le continent africain ?
En 2013, j’ai effectué un travail de recherche terrain en Afrique sur l’innovation. Pendant près de 4 ans, j’ai analysé ce qu’il se passait dans les écosystèmes dans près de 25 pays. Ce projet a été financé par du crowdfunding. J’ai par la suite été repéré par des médias comme le Monde et les Echos pour lesquels je suis devenu chroniqueur. A ce jour, j’ai fait plusieurs centaines d’articles, d’interviews et d’analyses sur les startups africaines.
En 2017, j’avais comme volonté en revenant à Marseille, ville d’origine, d’inscrire la Tech africain sur le long terme. J’ai donc rédigé un ouvrage « Startups Lions : au cœur de l’African Tech » et ai créé la plateforme Emerging Valley qui connecte les innovateurs d’Afrique, de Méditerranée et d’Europe à Marseille. Nous en sommes aujourd’hui à la quatrième édition.
Google a annoncé récemment avoir pris la décision de mettre un terme au projet Loon démarré en 2013, qui avait pour ambition d’offrir un accès Internet et le haut débit aux habitants des zones les plus reculées en Afrique. Quel regard portez-vous sur l’abandon de ce projet ?
L’Afrique est devenue ces dernières années le théâtre d’une véritable course à la connexion des GAFAM.
J’étais à Nairobi, le jour où Mark Zuckerberg est venu effectuer une visite auprès de l’écosystème tech local afin de présenter aux entrepreneurs Kenyans son vaste projet de connexion numérique de l’Afrique via satellite. Cet événement a mis un coup de projecteur sur les enjeux du développement d’internet en Afrique. Malheureusement, le satellite a explosé le jour de son lancement, d’ailleurs et pour la petite histoire, dans une fusée d’Elon Musk, un autre géant de la Silicon Valley ! Ensuite, le géant du web s’est lancé dans un second projet : connecter l’Afrique grâce à un drone à énergie solaire de la taille d’un boeing 737, le projet Aquila. Projet de nouveau abandonné car compliqué à rentabiliser économiquement.
Enfin, troisième initiative en Afrique : Google Loon. Initiative qui vient d’échouer. Il s’agissait d’une vraie prouesse technique puisque le projet permettait de faire flotter des antennes 4G, autoguidées par de l’IA pour connecter les territoires reculés. Google avait trouvé un partenaire commercial au Kenya pour distribuer cette connectivité aux populations en accord avec le gouvernement kenyan.
Avec la crise sanitaire, nous avons pu observer qu’internet était indispensable d’une part pour s’informer, informer, et pour travailler. Malheureusement, le modèle économique n’était pas là car pour pouvoir avoir accès à ce service, il fallait souscrire à un abonnement. Sauf que dans ces zones reculées, peu de personnes ont un appareil avec une connexion 4G et pour ceux qui en auraient un, il s’agit encore d’un service qui coûte cher.
Pour moi, ce n’est pas un échec technologique. Il s’agissait certes d’un projet futuriste mais un projet prometteur. Simplement, ils ont créé un produit peu adapté aux réalités du terrain.
Quelles sont les autres initiatives menées sur le continent pour favoriser le développement d’internet ? Comment parviennent-elles à fonctionner là où des acteurs comme Google et son projet Loon échouent ?
D’autres solutions qui fonctionnent bien ont été déployées sur le terrain. Par exemple, la startup BRCK est aussi sur le chemin de l’internet pour tous avec notamment des systèmes de connectivité portatifs installés dans les bus privés de transport qui circulent au Kenya. Ces systèmes sont des antennes Wifi mobiles qui permettent un accès internet gratuitement. En termes de modèle économique, la connexion internet est sponsorisée par des entreprises locales ou des organisations internationales. Cette startup a déjà connecté des millions de kenyans et ce, gratuitement. Des innovations sont possibles et des startups africaines y parviennent.
Il est temps que les GAFAM, que les grands comptes, s’imprègnent des réalités du terrain s’ils veulent connecter le continent avec des acteurs locaux. Ils n’y parviendront pas avec des projets futuristes, des projets « fous », techniquement imaginés dans la Silicon Valley mais qui ne sont pas adaptés au terrain.
Mais les choses sont en train de changer, les GAFAM comprennent petit à petit qu’il faut travailler depuis l’Afrique et pas seulement parachuter des projets depuis la Silicon Valley. Je pense que l’abandon de ce projet « Loon » va faire réfléchir.
Les GAFAM peuvent faire beaucoup sur le continent en apportant notamment de la formation, du matériel … Au sujet de la connexion, ils peuvent apporter beaucoup également mais cela doit se faire grâce à des partenariats avec des acteurs locaux. Il faut intégrer les startups locales à la réflexion.
Les GAFAM peuvent créer de la valeur en Afrique, c’est incontestable mais à condition de s’associer avec les acteurs présents sur le terrain
Nous sommes à quelques mois de la 4ème édition d’Emerging Valley. Pouvez-vous nous présenter les contours de la prochaine édition ?
Emerging Valley est un événement qui attire les investisseurs, les startups africaines et les écosystèmes numériques africains et émergents qui veulent renforcer leur attractivité à l’internationale, développer leurs relations business et accélérer leur impact à l’échelle globale. La prochaine édition se déroulera sur le digital cette fois, les 7 et 8 avril 2021.
Ce sera une édition très riche, animée par de nombreux intervenants et startups, organisée autour de thématiques phares telles que : la résilience territoriale, la e-santé, l’accès au financement, les industries créatives et culturelles, la biodiversité Europe-Afrique. Nous aborderons également le sujet de la diaspora, des territoires … pour permettre de créer des synergies entre les continents.