Entretien avec Delphine Remy-Boutang, co-fondatrice de la Journée de la Femme Digitale

Delphine Rémy Boutang a travaillé près de 14 ans chez IBM, en Angleterre et aux Etats-Unis avant de rentrer en France en 2013 pour entreprendre. Elle a créé The Bureau, une agence de communication digitale. En parallèle, elle a choisi de lancer la Journée de la Femme Digitale dont la première édition s’est tenue en 2013. Un événement annuel dédié à l’entreprenariat féminin et à la place des femmes dans le numérique.

Vous avez lancé une nouvelle édition de la journée de la femme digitale. Qu’est-ce qui a motivé le lancement d’un tel événement ?

Mon expertise réside dans la communication. Je pense que communiquer c’est éduquer. Au moment de lancer la Journée de la Femme Digitale, je pensais qu’il était urgent de changer les mentalités au regard de l’image de la femme, d’éduquer et de mettre en avant des rôles modèles de femmes qui entreprennent et intra-prennent dans l’univers de la Tech. A mon retour en France, j’ai pu constater qu’il y avait de nombreux événements organisés sur cette thématique-là avec encore très peu d’intervenantes représentées. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les mentalités ont changé. De nombreuses initiatives sont lancées pour valoriser les femmes qui entreprennent mais cela est encore très récent et les femmes sont encore sous-représentées dans la Tech, un secteur qui représente pourtant le futur. Il faut changer cela et le digital apparait comme un accélérateur historique de parité.

Nous avons donc choisi de créer un événement public, ouvert à tous pour montrer à travers un spectre de représentations le plus large possible, que tout le monde peut entreprendre.

Nous souhaitons montrer que le numérique et que les innovations sont des moyens qui peuvent être mis au service d’un monde meilleur. Au-delà de cet événement, nous avons aussi créé un club inauguré par Marlène Schiappa en 2017. Il regroupe aujourd’hui près de 500 femmes à forte capacité d’influence, aussi bien dans des grands groupes que dans des startups ou encore des médias. A travers ce club, nous organisons des rencontres une fois par mois. Nous ne pourrons pas changer le monde en un jour alors nous souhaitons bâtir un réseau durable marqué par des actions quotidiennes.

La JFD n’est pas seulement un événement, c’est aussi un club de networking, un réseau influent car nous avons besoin d’échanger entre femmes et de « réseauter ». Nous avons également créé la fondation Margaret, lancée en 2018 et qui aides des jeunes filles à embrasser des carrières grâce à de la formation aux nouveaux métiers du numérique. Cette année, grande nouveauté de cette édition, nous avons publié un manifeste pour un monde numérique inclusif. Chaque année, la JFD se lance dans des projets, des actions concrètes qui sont menées en parallèle de l’événement.

Le deuxième volet se déroulera à Dakar, pourquoi avoir choisi d’exporter l’événement en Afrique ?

Aujourd’hui nous avons décidé d’ouvrir notre réseau de femmes influentes à l’Afrique. Nous souhaitons miser sur l’internationalisation pour bâtir des ponts entre l’Europe et le continent africain.

Pourquoi l’Afrique ? car la révolution numérique passe par le continent. Je pense qu’aujourd’hui, il faut changer le narratif sur l’Afrique. Nous voulons mettre en lumière le fait qu’en plus d’être le continent champion de l’entreprenariat féminin, l’Afrique compte beaucoup de femmes entrepreneures qui participent activement à la croissance de leur pays. Nous devons les représenter et nous en inspirer.

Pourquoi Dakar ? car c’est l’une des villes les plus marquées par la Tech sur le continent. Il y a un écosystème bouillonnant dans le pays : aussi bien au niveau des entrepreneurs que ou encore des incubateurs. Le pays s’est d’ailleurs donné pour objectif d’atteindre 35 000 emplois directs dans le domaine des nouvelles technologies d’ici 2025. Nous représenterons donc cet écosystème du Sénégal à l’occasion de cette édition organisée à Dakar. Nous avons également organisé en partenariat avec Orange Sonatel, une learning expedition pour découvrir cet écosystème et aller à la rencontre des entrepreneurs locaux.

 

Quelles sont vos ambitions pour ce volet africain ? Quels seront les temps forts ?

Nous accueillerons pour cette première édition africaine, des startups du Sénégal mais également du Tchad, de la Côte d’Ivoire, d’Afrique du Sud … Les temps forts seront des prises de parole en duo, homme/femme, startup/grand groupe, pour symboliser ce nouvel écosystème dans lequel on vit aujourd’hui. Les prises de paroles raconteront les histoires de ces femmes qui changent le monde à leur échelle et de ces hommes qui soutiennent l’entreprenariat au féminin.

Notre ambition est de mettre en lumière comment le numérique peut être mis au service d’un monde meilleur et plus inclusif. Pour cela, nous devons tendre vers une plus grande représentativité des femmes qui sont les architectes du monde de demain. Je pense notamment à l’intelligence artificielle, un secteur d’avenir et source de créations d’emplois. Les femmes doivent investir ce secteur.

A l’occasion de la remise de prix « Les Margaret », en hommage à Margaret Hamilton, nous récompenserons des femmes digitales engagées pour un monde meilleur. La camerounaise Arielle Kitio, fondatrice de Caysti, entreprise dédiée à l’enseignement du codage aux jeunes générations ou encore Rebecca Enonchong, figure de la Tech africaine, font partie des nominées.

D’un point de vue plus général, quel regard portez-vous sur ces femmes qui entreprennent sur le continent grâce au digital ?

Je pense que l’Afrique est un continent précurseur sur plein de modèles. Je pense au paiement mobile, toutes ces solutions innovantes qui sont créées pour pallier à des déficiences logistiques et sociales et qui permettent d’innover davantage. C’est une réelle source d’inspiration. La révolution numérique opère sur le continent et les femmes doivent y prendre part ! le 21ème siècle sera féminin ou ne sera pas.

 

Quels sont les enjeux ?

Le financement demeure un enjeu crucial. L’accès au financement est un vrai sujet pour les femmes qui entreprennent (et les entrepreneurs en général). Au niveau mondial, le pourcentage d’accès au financement pour les femmes est de 2,2% seulement.

Ensuite, la formation et enfin la confiance. Les femmes doivent prendre confiance en elles et pour cela, il faut développer des rôles-modèles car on ne peut pas croire en ce que l’on n’a pas vu. Plus nous représenterons ces femmes plurielles qui entreprennent et qui réussissent, quel que soit le niveau, plus d’autres femmes auront le courage de se lancer.