Alexandre Rideau est le directeur général de la société de production sénégalaise Keewu. Implantée au Sénégal en 2012, Keewu rejoint le groupe français Lagardère Studio en octobre 2015. Depuis 2020, Keewu appartient au groupe Mediawan qui a repris Lagardère Studios.
Producteur de la célèbre série « C’est la vie » ou encore de « Wara », Alexandre Rideau s’est récemment distingué grâce à la production Sakho & Mangane, série policière 100% africaine, fruit d’une co-production avec CANAL+.
Dans cette interview accordée à Adweknow, il partage sa vision actuelle de la production audiovisuelle sur le continent africain, son évolution et ses perspectives pour 2022.
Quelle est votre vision du secteur de la production audiovisuel aujourd’hui ? Quel est le bilan de ces dernières années ?
Il y a beaucoup de choses positives à dire sur l’évolution et le développement du secteur. Même si certains considèrent que cette croissance est encore lente, cette dernière est tout de même bien réelle. Quand on voit le chemin parcouru entre 2015 et aujourd’hui, le développement du secteur est tout de même incroyable !
En 2015, si on nous avait dit qu’il y aurait en Afrique francophone subsaharienne des séries telles que « Mami Wata », « Sakho et Mangane », « Manjak » ou encore « Wara » … Personne ne l’aurait cru. Ces séries ont pourtant bien vu le jour malgré des financements encore limités puisque le marché est encore jeune.
On se doit de mettre en exergue que l’écosystème se structure et que de nombreux talents sont en train d’éclore. On a une nouvelle génération d’artistes, de scénaristes et de techniciens et de metteurs en scène très talentueux. Chez Keewu comme dans le groupe Mediawan, nous croyons à la créativité et à la puissance des talents que nous recrutons et que nous accompagnons en les mettant au cœur de notre développement.
Et ce s’explique notamment parce qu’il y a de plus en plus de tournages et des tournages plus formels. Il y a un vrai savoir-faire de production qui se développe et qui se cristallise dans les villes comme Abidjan, Dakar ou encore Ouagadougou. Dans la production audiovisuelle, nous sommes en train de passer de la production « artisanale » à de la production plus professionnalisée, plus structurée. Cela se ressent dans les contenus, dans la qualité des projets diffusés, de la maîtrise de l’écriture à la post-production. On commence à voir des vrais projets de qualité.
Cette première vague de talents doit se perfectionner et l’effort se poursuivre comme le démontre ces nouvelles initiatives. Très vite, j’espère, les autorités locales verront le potentiel qu’offre l’audiovisuel en termes d’emploi.
Keewu forme et accompagne ces nouveaux talents. Grâce à des appuis de CFI ou de OIF qui nous permettent de former des scénaristes, ou techniciens et de leur donner des emplois sur nos tournages, avec l’école supérieur des arts visuels de Marrakech (ESAV) ou bientôt avec de nouveaux partenaires comme l’école Kourtrajmé qui vient d’ouvrir à Dakar avec Toumani Sangaré ou le centre Yenennga d’Alain Gomis
Au-delà du modèle des co-productions avec les grandes chaines TV, est-ce qu’on assiste à l’émergence de nouveaux modèles ?
En effet, il y a plusieurs modèles aujourd’hui mais il y a surtout un modèle « Ouest Africain », pour la partie francophone, qui est en train de se mettre en place comme il y a eu un savoir-faire qui s’est développé au Nigéria il y a 20 ans de cela. Il y a une industrie ouest-africaine qui est en train d’émerger. Après chacune des productions est financée de manière rigoureusement différente. Peu importe, la qualité et la popularité des productions.
Même si l’on prend un modèle différent comme celui de Marodi TV qui a misé sur le numérique, c’est tout aussi impressionnant. Les projets ont largement gagné en qualité.
Vous parlez de « popularité ». Comment ces productions sont-elles accueillies par le public africain ? gagnent-elles en visibilité ? S’exportent-elles mieux à l’international ?
Ces productions qui sortent plaisent de plus en plus au public. Concernant la visibilité, c’est encore balbutiant. « Sakho et Mangane » a ouvert le bal, « Wara « est diffusée aux Etats-Unis, « Cacao » en Amérique du Nord … Nous gagnons en visibilité avec un écosystème qui est le nôtre. Même si nous sommes encore en retard, le reste du monde n’attend pas ! J’espère que d’ici quelques années nous aurons des leçons à partager avec les producteurs du monde entier.
Les plateformes du numérique arrivent … Comment voyez-vous cette arrivée ?
Les plateformes du numérique sont encore timides quant à leur développement sur la partie francophone. Mais cela va s’intensifier tout naturellement. Comme dans le reste du monde, l’arrivée de ces plateformes va permettre de mettre à disposition une caisse de résonnance pour les talents qui de fait, pourront davantage s’exprimer et rayonner. C’est une très bonne chose. Espérons aussi que des initiatives similaires seront impulsées depuis le continent mais aussi d’Europe.
Je continue à penser que le moment où il y aura une véritable bascule mondiale sur la production africaine, c’est le jour où des initiatives de financement ou d’accompagnement des projets viendront du continent lui-même.
Où en êtes-vous de vos propres projets ?
Après le succès de trois saisons de « C’est la vie », nous nous projetons déjà dans une quatrième saison ! une saison qui devrait partir prochainement en production. Qui dit nouvelle saison dit grandes nouveautés avec des épisodes toujours plus innovants ! Si tout se passe bien, le tournage devrait débuter cet été.
A quoi pouvons-nous nous attendre pour les prochaines années?
Bien évidemment, tout le monde aurait souhaité qu’en 2021 la croissance du secteur soit fulgurante et qu’on puisse regarder des contenus produits avec des moyens similaires à l’Afrique du Sud ou encore de Turquie. Nous n’y sommes pas encore mais il faut voir le chemin parcouru ! On parlait de productions à 5-10 000 euros, aujourd’hui nous avons changé notre réalité. La vague de fond est conséquente et positive. Quand on le vit de l’intérieur, on voit les choses changer.