Entretien avec Kalista Sy, scénariste et productrice de la série « Maîtresse d’un homme marié »

Kalista Sy, issue d’une formation de journaliste, est la scénariste et productrice de la série sénégalaise à succès « Maîtresse d’un homme marié »

Vous êtes la scénariste de la série à succès « Maîtresse d’un homme marié », peut-on revenir sur le succès de cette série ? Comment l’expliquez-vous ? Quelles sont les forces d’un tel programme ?

A l’origine, « Maîtresse d’un homme marié » repose sur une chronique que j’ai créée et que j’ai partagée au sein d’un groupe de femmes, via les réseaux sociaux, pour ouvrir le débat sur des sujets de société. Il s’agissait d’un groupe où les femmes pouvaient s’exprimer sur tous les sujets et ce, librement.

Face au succès de la chronique et aux débats que je pouvais susciter, j’ai décidé d’en faire une série TV. A la suite d’une rencontre avec le producteur de la société sénégalaise Marodi TV, qui venait de s’implanter sur le territoire, je me suis vue confier le développement de la série avec une équipe de production. J’ai eu à manager la réalisation de la première saison, soit 50 épisodes. Le succès s’explique car c’est une série qui permettait à la population de s’identifier aux personnages, une série inscrite dans la réalité. Les femmes en particulier, se sont particulièrement identifiées car pour une fois, la narration appartenait à des femmes. La série a d’ailleurs suscité une polémique puisque les gens n’étaient pas forcément prêts à entendre ces femmes aborder ces sujets, parler de leur intimité. Cette polémique a toutefois permis à cette série de bénéficier d’une grande visibilité, d’une grande notoriété, au-delà des frontières du Sénégal.

La diffusion de la série a commencé sur la chaine Youtube de Marodi TV puis a continué sur la télévision, la 2STV. Nous avons comptabilisé pour la première saison, en moyenne, 1,6 million de vues. A+ a par la suite rachetée la série doublée en français. Sur la deuxième saison, nous avons comptabilisé près de 2,5 millions de vues sur 32 épisodes.

Les sociétés de production à l’image de Marodi TV ont réussi le pari du digital. Aujourd’hui leur chaine Youtube comptabilise 2,9 millions d’abonnés.

Suite à ce grand succès une saison 2 a été lancée...

Pour la saison 2 de la série, le tournage s’est révélé compliqué car nous avons commencé quelques semaines avant le début de la crise sanitaire. Nous avons donc débuté la réalisation dans un climat d’incertitude. Toutefois, la production a choisi de prendre une décision osée mais qui a fini par payer puisqu’elle a décidé de poursuivre le projet en limitant beaucoup de choses mais surtout en se conformant aux règles sanitaires. Nous avons réussi à mener 5 mois de projet sans avoir de cas de contamination au Covid-19.

 

Il y a eu de nombreuses productions de séries TV à succès au Sénégal, qui contribuent à l’émergence d’une industrie audiovisuelle locale. Quelles en sont les raisons selon vous  ?

Le Sénégal a toujours été un pays du cinéma. Nous pouvons compter sur un grand nombre de cinéastes sénégalais. Cela s’explique parce que le Sénégal est un pays très artistique. Aujourd’hui, grâce à l’audiovisuel qui se développe de plus en plus, les séries que nous produisons sur le territoire prennent de plus en plus d’ampleur et gagnent en notoriété à l’international. Je pense qu’aujourd’hui, le Sénégal a su trouver son équilibre en matière de production audiovisuelle. Je pense qu’aujourd’hui, il est nécessaire de pouvoir fédérer nos acquis, de pouvoir composer avec les talents de chacun des pays du continent pour faire rayonner notre légitimité dans les industries créatives.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous devez faire face aujourd’hui ?

La première difficulté concerne les mentalités. Beaucoup ne sont pas prêts à ce qu’il se fait ailleurs. Aujourd’hui au Sénégal, nous racontons des histoires d’amour sans montrer de l’amour. Nous sommes encore limités par un cadre, il ne faut pas heurter les sensibilités, les mentalités.

Deuxième difficulté : le manque de formation. Nous n’avons pas de techniciens diplômés de formation, ils sont formés sur le tas. Nous avons besoin de programmes de formation pour les professionnels du milieu, cela est nécessaire au bon développement de l’industrie dans son ensemble.

La troisième difficulté relève des questions de genre. Ce secteur d’activité reste majoritairement détenu par des hommes et peu de femmes sont visibles. Elles sont majoritairement présentes dans l’écriture mais elles sont capables de dépasser ce cap-là, d’assumer d’autres fonctions, d’autres responsabilités.

Y aura-t-il une saison 3 de votre série?

Oui. Nous travaillons actuellement sur la troisième saison de la série « Maîtresse d’un homme marié » qui devrait sortir en 2021 si tout se passe bien.

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