Entretien avec Yoro Mbaye – réalisateur et producteur sénégalais

Pouvez-vous nous présenter votre métier ?

Passionné de cinéma, j’exerce les métiers de réalisateur et producteur depuis 2016. Je filme la
société contemporaine de mon pays qui est le Sénégal à travers des courts-métrages de fiction mais
aussi des documentaires. A mes débuts, j’ai été amené à travailler sur des projets de réalisation dont
cinq courts-métrages sélectionnés dans plusieurs festivals dont le dernier en date qui s’intitule
« Journée noire ». Ce dernier traite des violences policières. Réalisé à Dakar, ce projet a été un
véritable levier pour ma carrière. J’ai également su me faire connaître grâce au documentaire sur le
quotidien des livreurs Uber d’origine sénégalaise et travaillant en France.

Comment avez-vous appris ces métiers du cinéma ?
Je me suis lancé dans le monde du cinéma grâce à une association qui s’appelle « Ciné banlieue ». il
s’agit d’une association créée par le cinéaste Abdel Aziz Boye, chargée de former une nouvelle
génération de réalisateurs sénégalais. Après avoir pu apprendre de lui et d’autres professionnels du
milieu à mes débuts, je suis à mon tour formateur dans cette association.
Après avoir travaillé sur plusieurs projets de réalisations, je me suis ensuite intéressé au métier de la
production. J’ai donc choisi de suivre un cursus à l’Université mais j’ai vite compris qu’il n’y avait que
très peu de places et que celles-ci étaient majoritairement réservées aux étudiants européens. On
m’a également fait comprendre que pour avoir accès à ce genre de formation, il fallait avoir une
première expérience en production. Début 2020, j’ai donc décidé de retourner au Sénégal pour me
lancer dans la grande aventure de la production et me former entouré de professionnels et amis du
milieu. C’est ainsi que je me suis lancé seul dans la co-production de l’ensemble de mes films. L’un de
mes projets phares s’intitule « La nuit des Rois » qui est le fruit d’une co-production entre la France,
le Canada, la Côte d’Ivoire e le Sénégal.
Cette expérience en production et en co-production internationale m’a permis d’être sélectionné
pour ce programme de formation au métier de la production, entre 2020 et 2021, la France et
l’Allemagne.

Dans les métiers de producteur et de réalisateur, quelles sont les principales difficultés auxquelles vous devez faire face au quotidien ?
Quelles que soient les difficultés, j’essaye de ne pas les subir mais en tant que réalisateur, je pense
que la première des difficultés réside dans le fait d’avoir ou non un cadre idéal pour écrire un
projet et un accompagnement artistique sur-mesure. En tant que producteur, la principale difficulté
relève du financement. En Afrique, cela est difficile. Pour un long-métrage, on espère souvent
pouvoir bénéficier d’une co-production internationale pour pouvoir bénéficier d’un financement intéressant. Au Sénégal, nous avons tenté de financer nos productions mais cela reste très compliqué
malgré l’effort fourni depuis quelques années par le gouvernement du Sénégal. Une enveloppe est
dédiée au soutien aux projets cinématographiques mais il est très difficile d’avoir accès à ses
financements à temps de par notamment la lourdeur administrative imposée pour les dossiers de
demandes.

Depuis vos débuts et jusqu’à aujourd’hui, comment voyez-vous évoluer et se développer les
métiers de producteur et de réalisateur au Sénégal ?

Il est certain que l’on trouve de plus en plus de producteurs et de réalisateurs aujourd’hui au Sénégal
mais, force est de constater que ces métiers restent encore très inaccessibles. Les formations de
producteur par exemple impose de devoir réaliser des projets seuls et de se lancer dans le grand bain
sans trop de soutien, du développement jusqu’aux finitions d’un film. C’est pour cette raison
notamment que je me suis lancé dans la production. Il y a une véritable créativité au Sénégal et
beaucoup de talents font des efforts remarquables pour faire vivre le cinéma local mais la production
reste encore un véritable enjeu, largement dépendante de l’international et au détriment de notre
indépendance en matière de créativité. Nous allons maintenant devoir acquérir des projets, les faire
vivre ensemble et de manière collective sans que cela ne dépende uniquement de l’international.

Comment voyez-vous l’avenir de la formation aux métiers du cinéma qui reste un véritable enjeu
aujourd’hui pour le développement du secteur ?

Pour moi, la meilleure école reste l’action et la formation sur le terrain mais il est clair qu’il faut
inspirer la nouvelle génération. Je suis encore jeune, et mon seul conseil pour inspirer et amener les
futurs talents à rêver, ambitionner et faire mieux que tout ce que j’ai pu réaliser c’est de « faire ». Il
n’existe encore que très peu de structures où l’on peut s’inspirer des expériences des plus aguerris et
surtout en matière de production. Je travaille d’ailleurs au Centre Yennenga créé par Alain Gomis qui
est en train de faire un travail remarquable en matière de formation des jeunes mais nous
partageons tous le même avis : au-delà du développement artistique et de la production, il existe un
vrai problème de post-production. Cela coûte et cela demande une vraie expertise. Dans sa
dynamique, Alain Gomis ambitionne de développer des moyens pour former les jeunes à la post-
production. Nous espérons ainsi d’ici quelques années ne plus avoir besoin de recourir
systématiquement aux collaborations internationales pour faire naître et grandir des films.

Comment voyez-vous évoluer le secteur de la production audiovisuelle et cinématographique ?
Sur le plan audiovisuel, c’est une belle réussite. Aujourd’hui, grâce au boom des séries sur le petit
écran, les Sénégalais peuvent enfin consommer des contenus sénégalais, produits en local. Certaines
sociétés de production ont même réussi à trouver leur propre modèle de financement grâce au
digital. C’est un développement extraordinaire qui n’a pas encore touché la production
cinématographique.

Quels sont vos grands projets en préparation ?
Je suis actuellement sur un grand projet de co-production du film d’Alain Gomis, « Dao », déjà tourné
et actuellement en post-production. En parallèle et en tant qu’auteur, je travaille aussi sur mon
propre projet de long-métrage et termine le tournage de mon court-métrage « Fagadaga ».

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