Entretien avec Hélène Doubidji, fondatrice du média féministe EkinaMag

Hélène DOUBIDJI est journaliste de terrain multi-primée, fondatrice de deux médias notamment Togotopnews (www.togotopnews.com), site d’information généraliste et EkinaMag (www.ekinamag.com), webmagazine féministe. Elle est, par ailleurs, l’actuelle présidente de l’Association Togolaise des Organes de Presse Privée en Ligne (ATOPPEL).

Elle collabore avec quelques journaux écrits de la place avant de lancer en 2014 son premier média TogoTopNews pour relever le défi d’un organe de presse qui allie à la fois le journalisme traditionnel et les nouveaux formats éditoriaux. En 2018, ledit média est sélectionné par l’Agence  Française de Développement  Médias CFI et désigné comme l’un des onze meilleures Pures Players en Afrique dans le cadre de son initiative Nouveaux Acteurs d’Information en Ligne en Afrique (NAILA).

Journaliste de terrain passionnée, elle traite aisément différents thématiques, avec un intérêt certain pour les questions à fort impact social et les sujets en lien avec la femme.

Ses grands reportages lui permettent de recevoir des prix et nominations, tant au niveau national qu’international dont les derniers en date sont le Prix « Accer AWARD » (2021), décerné par Panafrican Climate Justice Alliance PACJA ; le « Grand Prix Régional du Journalisme Sensible au genre » (2020), attribué par l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (IPAO),  les « Lauriers du Journalisme d’Impact au Togo» (2018), décerné par les Ambassades de France, d’Allemagne, des États Unies, l’Union Européenne et le Système des Nations Unies au Togo…

Au-delà du journalisme, elle participe et couvre plusieurs grandes rencontres internationales dont le Colloque Régional sur l’accès des femmes à l’information au Sénégal en Décembre 2020 ; le Forum Médias Développement en France en Décembre 2019, le Forum African Women in Dialogue (AFWID), en Afrique du Sud en  Novembre 2019 ; la Grande rencontre des scientifiques  « Kavli Week » en Norvège en 2016 ; la 21ème de Conférence Mondiale sur le Climat à Paris en France en Décembre 2015…

 

Pouvez-vous nous présenter Ekinamag ? Quelle en est la ligne éditoriale ? Quels types de contenus sont accessibles ? Comment le média est-il alimenté ?

Alors j’ai créé légalement EkinaMag en Décembre 2020. Faut-il l’expliquer, le mot « Ekina » renvoie à « jeune fille » en « Ifè » qui est une langue locale parlée dans certaines localités au Togo.

Accessible via www.ekinamag.com, EkinaMag est un Webmagazine féministe, média 100 % numérique  engagé contre le sexisme et les violences basées sur le genre et qui œuvre à la promotion des droits de la femme. Le média met en avant les réussites et initiatives des filles et femmes, tout en soulignant les défis et obstacles auxquels elles font face.

Ekinamag vise en effet  l’atteinte de l’ODD5 qui concourt à « réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ».

Le magazine propose des contenus en mode écrit, audio et vidéo et  s’organise autour de six grands axes : droit de la femme et violences basées sur le genre ; empowerment, leadership féminin, masculinité positive,  entrepreneuriat féminin, santé et sexualité.

Il faut souligner qu’Ekinamag ne développe aucune rubrique traditionnelle des magazines féminins comme « cuisine », « décoration », « beauté », « maquillage »… Des contenus qui selon nous, ne font que renforcer des stéréotypes qui existent déjà, en ce sens qu’ils revoient à l’image de la femme séductrice, femme objet, femme à la cuisine…

Tous nos contenus sont accessibles par tout le monde gratuitement car nous faisons partie de ceux qui pensent que l’information est un bien commun qui doit être partagée. Encore que, nous sommes un média engagé pour une cause précise, nos publications sont en accès libre et doivent l’être, afin de toucher un large public, sans contrainte. Tout le monde peut donc lire et commenter les publications  que ce soit sur le site ou sur les réseaux sociaux. Parlant des réseaux sociaux, EkinaMag intègre les principaux réseaux notamment Facebook, Twitter, Instagramm, Youtube.

Le média est alimenté de façon régulière avec des contenus réalisés exclusivement par son équipe de rédaction composée de 6 journalistes permanents et de plusieurs journalistes contributeurs.

 

Comment qualifierez-vous votre audience ? Quelle tranche d’âge ? Au-delà du Togo, comptez-vous une audience panafricaine ?

En termes d’audiences, nous avons depuis Novembre 2022 entre « 20 000 » et « 33 000 » utilisateurs par mois. Une nette augmentation par rapport aux mois précédents.

Environ 60 % des lecteurs d’EkinaMag sont des hommes contre 40 % de femmes. La tranche d’âge de notre lectorat est de 18 à 44 ans.  Les 18-24 ans représentent 38 %,  les 25-34 ans font 37 %, les 35-44 ans représentent 15 %.

Par rapport aux pays qui nous suivent le Togo vient évidemment en première position, le Bénin voisin en deuxième position, suivi respectivement  de la France,  la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Ce sont les 5 principaux pays qui suivent EkinaMag.

 

Pourquoi avoir choisi de lancer un média féministe ? Quelles sont les ambitions ?

L’idée de mettre en place ce média est venue dans un premier temps en 2018, suite à une rencontre bouleversante avec une jeune fille orpheline d’environ 16 ans qui a été abusée, violée, enceintée par le mari de sa tante chez qui elle vivait.

Très touchée par  son histoire, l’idée m’est venue de mettre en place un media destiné exclusivement à parler de ces faits, peu traités par les médias classiques mais qui constituent un véritable problème de société passé sous silence et dont les victimes et survivantes sont méprisées et bannies.

L’idée est née, mais il a fallu que je sois invitée en 2019 au Forum Media Développement à Paris, par CFI  pour avoir le gros déclic de passer à l’action. Puisque, au nombre des thématiques discutés  lors  cette rencontre internationale, figure le  « féminisme dans les médias ».Ce qui m’a permis d’avoir une orientation claire à donner à mon idée en gestation et  passer à l’étape du projet.

J’ai donc décidé de positionner le média comme étant un magazine féministe  puis que lorsqu’on annalyse l’environnement médiatique au Togo, on se rend compte que la femme est présentée de façon stéréotypée dans les médias.  Elles sont peu citées comme expertes, consultantes ou spécialistes ; elles sont fortement impliquées plutôt dans les publicités et contenus à caractères sexistes… Les préoccupations féministes ne sont guère abordées par les médias et la question de l’égalité homme-femme n’est souvent pas traitée en profondeur.

Et justement nos ambitions, c’est d’avoir un média qui déconstruit les clichés et stéréotypes, va à l’encontre de l’ordre patriarcale, promeut une image plus valorisante de femme et qui défend l’idéologie selon laquelle les femmes et les hommes sont égaux.

Quelle est la place des mouvements féministes aujourd’hui dans l’espace médiatique africain ?

Comme je l’ai souligné plus haut, les préoccupations féministes intéressent peu les médias notamment africains. Les émissions, titres, rubriques des médias  révèlent avant tout un monde masculin.  Les mouvements féministes sont plutôt souvent critiqués par des médias. De façon générale, les pertinents sujets en lien avec la femme occupent peu de place dans les contenus médiatiques. Les sujets sur les femmes souvent traités dans les médias concernent généralement : la commémoration des journées thématiques liées à la femme ; quelques comptes rendus d’activités des associations de femmes, du lancement des initiatives sur les femmes ; des articles à titre informatif  comme par exemple les statistiques annuels sur la grossesse en milieu scolaire, le pourcentage de filles passant les examens scolaires ; des sujets insolites et faits divers en lien avec la femme.

Le sixième rapport du Global media monitoring project (GMMP, 2020), une initiative mondiale de suivi des contenus éditoriaux l’a bien confirmé. Au total  30 172 contenus publiés dans des journaux, diffusés dans les médias audiovisuels, sur des sites d’informations et via des tweets de médias d’information ont été examinés.  À l’échelle mondiale, 25% seulement  des contenus analysés ont fait référence aux femmes en tant que sujets et sources d’information, soit une progression de 1% comparé à 2010. À ce rythme, il faudra « 67 ans » pour atteindre l’équilibre homme-femme dans les contenus médiatiques au niveau mondial, selon le sixième rapport du GMMP.

 

Vous venez de remporter le prix francophone de l’innovation dans les médias. Que représente cette distinction pour le développement de vos activités ?

Cette distinction pour nous est un grand cadeau du ciel qui est venu à point nommé. EkinaMag depuis sa création développe ses activités essentiellement grâce à l’autofinancement. Le financement de l’OIF nous aidera donc à consolider nos activités et logistiques et à amorcer de nouveaux projets, afin d’implanter durablement EkinaMag.  Nous avons en effet, plusieurs projets pour 2023 entre autres une campagne digitale contre les violences basées sur le genre et le harcèlement sexuelle, quatre séries de portraits sur les femmes qui évoluent dans des domaines dits masculin, une web-série titrée « je suis homme et engagée pour la cause féminine », un projet sur « la femme et sport ».

Quelles sont vos ambitions à court, moyen, long termes ?

À court terme, enraciner solidement EkinaMag en amorçant plusieurs projets; à moyen terme avoir des correspondants dans les pays de la sous-région et à long terme dupliquer l’initiative dans plusieurs pays africains.