Entretien avec Alex Ogou, réalisateur d’Invisibles

Alex Ogou est acteur, scénariste, directeur de production et réalisateur.  Il a obtenu  en 1999,  le prix d’interprétation au Festival du jeune comédien de Béziers pour son rôle dans le film de Robert Guediguian « A la place du cœur ». En 2018 il réalise la série Invisibles diffusée sur CANAL+ qui est désignée  meilleure fiction francophone étrangère au festival de la Fiction de la Rochelle, une première pour une série africaine.

 

Quel sont les grandes étapes de votre parcours professionnel ? Comment devient-on réalisateur ?

 

J’ai débuté professionnellement dans le cinéma un peu par hasard. Lycéen j’accompagnais une amie à un casting (donc à priori féminin) et à mon arrivée la casting me propose de passer l’audition car elle recherche à composer un jeune couple mixte pour le prochain film de Robert Guédiguian. J’obtenais mon premier rôle dans A la place du cœur…

J’avais 17 ans. Je passais mon BAC… On est en été 1997.

En 1999 j’obtenais un prix d’interprétation pour ce film, lors de ce que je pensais être un petit festival, où j’ai rencontré tout ce qu’on appelait la jeune génération de comédiens de cette année-là. Nous débutions au même festival avec d’autres jeunes acteurs tels Audrey Tautou, Sophie Guillemin, Olivia Bonamy etc…

Après tout s’est enchainé. Passant tour à tour de devant à derrière la caméra en tant que cadreur, monteur, directeur de production puis réalisateur…

 « Invisibles », votre première série en tant que réalisateur a été désignée meilleure fiction francophone étrangère au festival de la Fiction de la Rochelle ? Qu’est-ce-que cela symbolise pour vous ?

 

Invisibles représente 2 choses pour moi. L’une d’un point de vue personnel : c’était ma première création de série et j’ai dû aller puiser très loin dans mes ressources pour porter à bien un tel projet sur la valeur et la place qu’on donne à l’enfance dans une société malade.

Puis d’un point de vue plus large, je voulais créer une prise de conscience générale sur cette question. Au travers d’un sujet de société très clivant. Il fallait pouvoir concilier ceux qui veulent comprendre et ceux qui bannissent catégoriquement ces jeunes délinquants. Sans parti pris. Si ce n’est celui d’assumer de présenter devant les gens le miroir de notre société.

La reconnaissance à la Rochelle marque aussi l’entrée de l’Afrique dans la francophonie audiovisuelle. La première série africaine francophone à être primée hors d’Afrique dans un festival de cette importance.

 

Selon beaucoup d’observateurs, « Invisibles » a marqué le début d’une nouvelle ère dans la production de fiction africaine. Qu’en pensez-vous ?

Oui je ne peux que le constater grâce notamment au prix de la Rochelle. De mon point de vue, il s’agit plus d’une nouvelle ère dans les formats de diffusion et le type de sujet abordé.

Il est vrai que « formellement » j’ai abordé cette série comme du cinéma à la télévision. Avec l’exigence que cela implique…

 

Selon vous, quelles conditions faut-il réunir pour renouveler une telle réussite ?

 

Il me semble que ce qui a permis Invisibles, au-delà du schéma classique de production, est le fait d’avoir une totale maîtrise et contrôle de ma production. Puisque j’étais à la fois créateur, producteur exécutif et réalisateur. Je crois que le fait d’avoir une même tête sur tous ces aspects ont donné une entité à priori cohérente et maîtrisée.

Alors pour éventuellement renouveler cette réussite, il me semble important que derrière tout projet d’envergure, il existe une personne qui a une vision d’ensemble de l’œuvre. Pour qu’il n’y ai pas une déperdition de quelque chose qui n’est pas palpable… L’âme.

Je crois que la réussite réside dans le fait qu’on ressente l’âme de quelqu’un à travers une œuvre. Un souffle continu…

 

Comment trouve-t-on le financement pour ces projets ambitieux ?


Les financements se font toujours par additions de guichets si je puis dire. Je ne connais pas une structure ou une chaîne capable de financer seule ce type de projet. Même si dans le cadre d’Invisibles, les principaux financements venaient de Canal+.

Je tiens à préciser que même si les projets sont ambitieux, ils ne sont pas dans des budgets extraordinaires pour ce qu’on livre. Donc il s’agit plus de projets ambitieux aux coûts de production maîtrisés.

 

Vous êtes en ce moment en tournage (avec François Deplanck et Tanka Studio), pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce projet ?

 

Oui je tourne actuellement ma deuxième création Canal+ Original. La série s’appelle CACAO et traite de l’univers de l’industrie du cacao sous le prisme de querelles familiales et de passion amoureuse. La série est effectivement produite par François Deplanck avec qui j’ai eu le plaisir de collaborer sur Invisibles puisque c’est lui qui m’a signé la série.

J’ai la chance d’avoir pu fédérer des grands noms du cinéma africain sur cette série. Vous les découvrirez le moment venu 😉

 

Pensez-vous qu’il est possible de produire des fictions nationales qui seraient financièrement, à la portée des chaînes publiques ou privées non panafricaines ?

Je ne sais pas si je comprends bien la question, mais je vous dirai que la réelle question est peut-on produire nationalement des fictions africaines qui intéresseraient des chaines non panafricaines ? Et effectivement cette question relève de deux aspects. A la fois la capacité d’universalité de sujets localisés en Afrique et la capacité financière à produire de la qualité « qui voyage ». Et il me semble que Invisibles est un peu la synthèse de ces deux points.

Au final il s’agit d’écriture. A la fois narrative et visuelle. Bien entendu tout a un coût mais je reste persuadé que le chemin de la progression de la représentation des fictions africaines à travers le monde passera par la maîtrise de cette équation. Nous sommes limités financièrement mais pouvons créer des œuvres à portée universelle où la question financière n’est plus un prétexte. Ou du moins passe au second plan…