Jacek Roznowicz a travaillé pendant plus de dix ans dans le secteur de la Beauté en Afrique franco- phone pour le compte d’une marque internationale. Aujourd’hui consultant, il partage avec nous sa vision du marché, de la sous-région à la Côte d’Ivoire.
Comment décririez-vous le marché de la beauté en Afrique francophone ?
L’Afrique, en général, est un continent très dynamique où les choses vont très vite. Tout le monde veut y être présent car le potentiel est énorme. Le marché des cosmétiques en Afrique est en pleine ébullition. Les consommatrices sont très enclines à tester et adopter les nouveautés. Certainement plus rapidement qu’ailleurs. Les consommateurs africains sont de plus en plus attentifs aux marques locales, qui, quant à elles, obligées par les exigences des consommateurs, évoluent.
Les données officielles montrent que le marché sud-africain est de loin le plus important de toute l’Afrique, mais plutôt stable. Le marché nigérian est presque moitié moindre, mais en développement conséquent. Ensuite, le marché égyptien et marocain (premier marché francophone) se disputent la 4ème place juste avant l’Algérie et le Kenya.
Quels sont les segments les plus porteurs ?
Comme je le disais, le marché des cosmétiques est en constante évolution. D’une part, cela est dû à l’amélioration de la qualité de vie. D’autre part, le consommateur est de mieux en mieux informé. On pourrait y ajouter aussi le raccourcissement du cycle de vie du produit cosmétique ainsi que la concurrence accrue sur ce segment. Tout cela fait que les Africains sont de plus en plus attirés par les marques plus prestigieuses et les catégories plus spécifiques (avec une promesse plus élaborée). Enfin, la composition est scrutée à la loupe. Ces facteurs obligent les producteurs et distributeurs d’être constamment à la hauteur et transparents.
Il conviendrait d’ajouter encore un élément : le lieu de production. Je le mets exprès à part car il est un élément très subjectif. Si la montée des exigences du consommateur ne fait aucun doute, autant la mention « Made in Africa » sera un facteur plus ou moins déterminant pour tout un chacun.
Comment se démarquer en tant que marque dans un environnement aussi concurrentiel ?
On pense souvent que le prix est le seul critère d’achat dans certains pays où le pouvoir d’achat est plus faible. Or, le comportement d’achat n’est pas une science exacte et il comporte un élément subjectif qu’il est difficile de mesurer.
La confiance en marque, la traçabilité du produit, l’offre et évidemment le rapport qualité-prix sont selon moi les 4 facteurs les plus importants dans la communication. Bien évidemment, ces 4 éléments sont liés étroitement entre eux. La confiance est probablement le résultat du mix entre une offre adaptée, la traçabilité accessible et rapport qualité-prix prouvé. Mais cela peut être aussi le résultat d’une communication agressive. Il faut donc, en tant que consommateur, rester vigilant et essayer de faire part de choses dans la mesure du possible. Autrement dit, essayer de répondre à la question : « en quoi la marque qui communique beaucoup est meilleure pour moi ? » ou « est-elle vraiment meilleure pour moi ? »
Comment décririez-vous les consommateurs ? quelles sont leurs attentes ? leurs usages ? leurs besoins ?
Les habitudes des consommateurs intra-africains sont différents en fonction de la région et du pays. Et cela ne vaut pas seulement pour les produits cosmétiques, mais pour tous types des produits et aussi des services.
Par conséquent, il y a des pays en Afrique dont les habitudes d’achat ressemblent plus à certains pays européens et d’autres moins. C’est logique car il y a partout les consommatrices à différents types de peaux (mixte, grasse, foncée, blanche). Il faut donc analyser chaque marché séparément et ne pas chercher à tout prix des ressemblances. Accepter les différences est une opportunité formidable de réfléchir « out of the box ». N’oublions pas que chaque peau a besoin d’hydratation, qu’elle soit plus ou moins foncée. Dans certains pays asiatiques, par exemple, les consommatrices recherchent à avoir la peau blanche contrairement aux Européennes qui aiment montrer le bronzage de leur peau. C’est donc tout et son contraire. D’où l’importance d’une vision claire et stratégie bien établie.
Par exemple, on peut constater une plus forte aspiration des femmes africaines à consommer des produits adaptés à leurs standards et modes de consommation ainsi que des produits Made in Africa. Comment les marques doivent-elles se positionner vis-à vis de cela ? Aspirent-elles à développer des marques en accord avec les spécificités du marché local ?
Chaque femme a des besoins spécifiques liés à sa personnalité, son type de peau, son « mood ». On peut aller encore plus loin en disant qu’il n’y a pas de Femme Africaine, mais il existe bien des Femmes Africaines. Le continent est immense et réduire la beauté africaine à un type ne serait pas logique.
Plus généralement, je crois que la consommatrice africaine est de plus en plus exigeante : elle souhaite avoir le produit de qualité, respectueux pour la planète et le clame haut et fort. La mention « made in France » apparaît comme le gage de qualité et il semblerait que ce soit vrai dans tous les pays africains, quoique l’on en dise. Cela peut aussi invoquer certaines notions du passé que chacun interprétera comme il le souhaite – c’est donc très subjectif. Dans beaucoup de pays du monde, la notion de « made in… » fait sortir une appartenance tant recherchée par les consommatrices. Et tant mieux. Aussi dans chaque pays du monde, étant fiers de ses origines, on aime montrer de marques prestigieuses, souvent étrangères, que l’on porte sur soi. N’est-ce pas parfois contradictoire avec les valeurs que l’on clame ?
Existe-t-il une différence de perception de la part des consommateurs entre les marques internationales et marques locales ? Les marques internationales sont-elles davantage plébiscitées ?
Je ne dirais pas que les marques internationales sont davantage plébiscitées. Cela incombe à chacun de juger quelle marque lui convient le plus et laquelle il veut porter.
Il est néanmoins vrai que les marques internationales investissent souvent plus dans la communication et que, par conséquent, peuvent sembler plus connues et donner, pour certains, plus envie d’être achetées. Comme je l’ai évoqué plus tôt, c’est à chacun de juger selon ses propres valeurs et besoins.
En termes de communication, quelles sont les stratégies développées, les médias les plus utilisés ?
Cela est la conséquence de la stratégie de chaque marque. Et celle-ci est souvent différente d’un pays à l’autre. Dans certains pays, certaines marques vont choisir la radio car son taux de pénétration sera intéressant. Dans d’autres, cela va être l’affichage. Quant à la TV, c’est un media relativement cher – beaucoup de marques voudraient probablement y être présentes, mais peu le font.
En revanche, il est relativement facile pour tout le monde d’être sur les réseaux sociaux. Ce qui est plus difficile, c’est d’avoir une bonne stratégie de cette présence et de la respecter.
Quid des réseaux sociaux ? Sont-ils utilisés ou encore délaissés ?
Il est facile d’utiliser les réseaux sociaux, mais il faut le faire bien. Ce qui veut dire que sans avoir une bonne stratégie et la cohérence, on peut faire plus de mal que de bien. N’oublions pas que tout se répand très vite et que parfois le moindre élément à nos yeux peut être interprété complètement différemment aux yeux des autres.
Il y aura bientôt des chaines de TV privées en Côte d’Ivoire. Est-ce que cela peut changer les habitudes ?
Il semble compliqué de dire à ce stade dans quelle mesure l’arrivée de nouvelles chaînes TV changera les habitudes. Cela dépend non seulement de la vision des responsables de ces chaînes mais surtout de la confiance que les consommateurs d’une part et les annonceurs d’autres part auront dans celles-là. Selon toute logique, cela devrait amener une baisse des prix des annonces publicitaires en rendant l’accès à ce canal aux marques qui ne pouvaient pas se le permettre jusqu’il y a peu.
Nous avons estimé le marché global hygiène-toilette-beauté, en termes de communication, à un milliard de FCFA en Côte d’Ivoire, est-ce une réalité ou non selon vous ?
Il serait d’environ 100 M EUR il y a 2-3 ans. Même s’il est en croissance constante, 1 Md FCFA donc 150 M EUR environ peut paraitre un peu exagéré.
Parler de la valeur du marché sans avoir aucune référence n’apporte rien en soi. ll serait intéressant de comparer ce marché aux autres marchés des voisins comme celui du Ghana ou autres pays francophones comparables comme Cameroun par exemple.
Sur la zone Afrique francophone, comment voyez-vous l’évolution du marché global hygiène-beauté en termes de CA notamment quand on observe que la classe moyenne est toujours plus importante ?
On peut noter que la valeur du marché des cosmétiques est une combinaison des trois facteurs : le nombre d’habitants, leur pouvoir d’achat et leurs habitudes de consommation. Même si le consommateur botswanais dépense en cosmétiques le plus de tout le continent, le marché y est assez limité à cause du faible nombre d’habitants.
Ceci étant dit, ces trois facteurs évoluent de manière positive afin que les marchés des cosmétiques augmentent. Le nombre d’habitants et donc clients potentiels est en hausse pratiquement dans chaque pays africain. Tout comme le pouvoir d’achat amenant le changement dans le comportement des consommateurs plus exigeants. C’est désormais sur ce chemin que les marques doivent s’engager. Et cela est vrai aussi pour les marques internationales que pour celles « made in Africa ».