Tribune :  » L’attention des audiences est avec le digital. » – Kwame Senou

Cette année encore, Simon Kemp et son équipe à Kepios ont produit le DataReportal 2023 qui fournit des indicateurs précieux pour permettre d’apprécier l’importance du digital, sa place dans le mix media et de décider des investissements à y consacrer. Il y apparait que de plus en plus de personnes sont connectées à Internet en Afrique, que les réseaux sociaux restent le premier usage et que le mobile est la plateforme la plus dominante. A lire ce genre de rapport sans contexte, on décide que la pénétration d’Internet est relativement faible et qu’il reste une source de portée additionnelle dans un plan média. C’est loin d’être la réalité.

Lorsqu’on place les chiffres de la pénétration du digital dans le contexte de la population ayant du revenu, pouvant consommer, qui est éduqué donc capable de comprendre les publicités, on est proche voire au-delà des 70% de pénétration du digital. Cette estimation tient compte essentiellement de la population de plus de 30 ans. Mieux, quand on sait que le mix media fonctionne comme un système de vase communicant où la population informée et éduquée, est celle qui reçoit en premier les informations, les transmet par le « bouche-à-oreille » au reste de la population.

Ces constats refondent la façon dont les stratèges sont appelés à percevoir et utiliser le digital. Un annonceur par essence est à la recherche de clients pour ses produits et services, il ne s’adresse pas à la population, tout entière mais à l’audience de sa catégorie cible. Les chiffres disponibles, par exemple 5,1 millions d’ivoiriens sur les réseaux sociaux mensuellement, présentent une masse critique suffisante pour faire du digital le premier média. Le secteur de la communication doit sortir de son anachronisme qui avait placé la télévision en « lead media », la campagne était conçue pour la télévision et déclinée sur les autres médias. Le secteur doit rejeter la paresse de l’affichage comme « lead media » dans un contexte de population analphabète. L’univers multimédia fourni par le digital, où la voix, l’image, la vidéo, les animations sont combinées est un cocktail pour toucher tous les utilisateurs même celles et ceux qui ne parlent pas français. Ne voit-on pas au quartier Zongo à Cotonou, des commerçants s’appuyer sur les notes vocales de WhatsApp pour échanger au sujet de leurs transactions ? Le digital est devenu le lead media, c’est un fait.

Cependant, l’enthousiasme pour le digital doit être pondéré par les expériences multicanales des audiences. Lorsqu’on regarde le parcours media, les médias traditionnels y occupent une place suffisamment importante pour que les grands annonceurs ne puissent pas les éviter si leur objectif est la portée qui contribue à la disponibilité mentale portée par le Professeur Byron Sharp et l’Institut Ehrenberg-Bass dans le fameux livre How Brands Grow. Le Digital peut servir de point de départ des campagnes grand public, mais il a besoin d’une amplification et d’une crédibilisation par les médias traditionnels qui restent une marque de prestige, mais aussi de vérité dans la sous-région. Mieux le digital dans sa pénétration, est inégalement réparti entre les hommes et les femmes, les pays côtiers et les pays sahéliens. Il faut donc s’appuyer sur les données pour créer un mix media pertinent pour chaque territoire. Il est toutefois possible d’avancer que sur des segments comme le marketing B2B ou encore le luxe, le digital est désormais quasi-autonome. Les audiences de ces segments sont totalement connectées et pour certains, commencent à développer une certaine exclusivité.

Les budgets du digital dans la région, sont en progression, il suffit de se connecter pour recevoir des bannières de grands annonceurs locaux. Cette progression cache néanmoins, une utilisation restreinte qui est portée sur les plateformes programmatiques comme Eskimi en Display. Les Directeurs marketing et leurs responsables de la publicité, continuent de traiter le digital comme un petit supplément sympathique. Même l’utilisation des influencers, est une inclusion à peine aboutie. Il faut des budgets du digital qui intègre la création de contenus digitaux (et non des déclinaisons en digital), l’utilisation des différents canaux du digital surtout la vidéo qui ne cesse de progresser en habitude de consommation, et la montée en compétences des professionnels des 2 côtés du budget, client et agence.

Le digital est présent dans l’arsenal du marketing, depuis 2 décennies. Des progrès énormes ont été accomplis et tous les formats traditionnels s’y retrouvent maintenant. Sa capacité à être un média mobile et interactif, a gagné l’attention des audiences et lui a permis de s’installer. Il faut donc regarder froidement les données disponibles et opérer une transformation du mix media. C’est nécessaire pour que les acteurs du marketing chez les annonceurs continuent dans les comités de direction, de tenir tête aux financiers qui doutent de leur efficacité et de leur utilité face aux équipes commerciales.

Kwame Senou

Kwame est consultant en Communication Stratégique et Relations Publiques. Il est le Président de THOP The Holding Opinion and Public, un groupe d’agences de communication intégrée en Afrique Francophone.