Entretien avec Steve Karl Munga, Fondateur et Président des cinémas Cinekin

Quel est votre parcours ?

J’ai aujourd’hui 34 ans. J’ai quitté le Congo très jeune et ai vécu toute ma vie en France et en Belgique. Après des expériences professionnelles chez Accenture ou encore au sein du groupe SNT, je suis devenu entrepreneur en Belgique, dans le milieu de l’événementiel. J’ai décidé en 2016, de m’installer au Congo où j’ai lancé CINEKIN.

 

La première salle a été inaugurée en 2017, qu’est ce qui a motivé sa création ? Quel bilan pouvez-vous faire aujourd’hui ?

Lorsque je suis arrivé, j’ai constaté que la seule façon pour la population de regarder des films, c’était de l’acheter en DVD dans une qualité médiocre (screener). C’est comme ça que les gens ici au Congo regardaient des films et qui plus est, sur mobile. Malgré une population de 12 millions d’habitants, aucune salle de cinéma n’avait ouvert dans le pays. Il y a eu effectivement des lieux dédiés à la projection de films mais pas de réelles salles de cinéma comme on l’entend en Europe. En tant que passionné, j’ai donc décidé de relancer le cinéma, d’amener le 7ème Art à la population congolaise. J’ai voulu construire un lieu où les familles pouvaient venir s’y divertir, apprendre, se cultiver. J’ai donc créer CINEKIN.

Le réseau Cinekin est aujourd’hui constitué de trois salles de cinéma.

 

Quels en sont les chiffres de fréquentation ? Quel est le profil de fréquentation ?

La première salle a été inaugurée en décembre 2017. Si l’on veut faire un bilan, nous avons vendu en 2 ans plus de 150 000 places de cinéma. Nous sommes aujourd’hui les leaders sur le marché congolais mais également les pionniers en matière de complexes cinématographiques. Nous étions les premiers à construire un complexe cinéma dans toute l’Afrique francophone subsaharienne.

D’un point de vue stratégique, quand nous avons lancé CINEKIN, nous voulions d’abord toucher les connaisseurs, cette partie de la population déjà férue de cinéma. Il nous paraissait plus facile de vendre un concept de salle de cinéma à des gens qui aiment le cinéma.

La majorité de la population active n’avait jamais connu de salle de cinéma. La plupart se demandait « pourquoi payer une place de cinéma quand je peux voire des films sur Canal+ ? ». Il a donc fallu faire de la pédagogie et pour cela, il apparaissait évident que nous devions cibler premièrement les amateurs de cinéma pour attirer ensuite l’ensemble de la population active et que l’on crée une tendance. Ces « connaisseurs » faisaient partie de la diaspora, des expatriés, des cadres, ceux qui avaient l’opportunité de voyager et qui dans l’ensemble, connaissaient le cinéma. Mais aujourd’hui, nous voulons modifier notre stratégie.

 

Avez-vous d’autres projets d’ouverture de salles de cinéma ?

Nous travaillons sur un nouveau projet, un nouveau concept de salles de cinéma qui va nous permettre d’adapter davantage notre offre à la population active. Nous parlons ici de salles de cinéma avec un modèle économique, en termes de prix et de design, beaucoup plus adapté au mass market.

 

 

Quelle place occupe la diffusion de contenu africain dans votre politique de programmation ? Quels genres de films ont le plus de succès ?

Chez Cinekin, notre mission est d’offrir la meilleure expérience cinématographique possible à la population mais notre vision, c’est de bâtir une industrie du cinéma en RDC et pour cela, il faut que les gens aiment le cinéma. Pour qu’ils aiment le cinéma, il faut des salles de cinéma et programmer des films qu’ils veulent voir. Notre stratégie initiale était donc axée sur la programmation et la diffusion de blockbusters qui peuvent plaire à tout le monde. Nous voulions faire en sorte que les congolais aient une expérience exclusive du cinéma, avec des films à succès et des sorties en salles en même temps que les Etats-Unis.

Concernant le contenu africain, nous encourageons vivement et invitons toujours les producteurs à nous envoyer leurs œuvres mais pour cela, il faut respecter une condition fondamentale : ces films ne peuvent être sortis en dehors de l’Afrique avant la RDC. Nous voulons offrir aux congolais une expérience cinématographique au même moment que l’international car nous devons respecter la programmation mondiale.

 

De nouvelles salles de cinéma se construisent un peu partout en Afrique francophone subsaharienne. Comment voyez-vous cette multiplication de salles de cinéma ? comme une opportunité ou une menace ?

Je vois ce renouveau des salles de cinéma à la fois comme une opportunité et comme une menace.

L’arrivée de plusieurs acteurs sur le marché sera une opportunité dans la mesure où cela permettra de créer davantage de collaborations. A Paris, il y a 433 salles de cinéma. Si une salle a un problème avec un film, les 432 autres salles peuvent le sauver. Ici, nous sommes isolés, la moindre difficulté peut nous impacter.

Cela peut aussi constituer une menace, si un dumping se produit. C’est donc au gouvernement de prendre ses responsabilités et de réguler le marché. Les sociétés qui ne sont pas africaines, ne peuvent pas venir ici et proposer des prix qui ne sont pas en accord avec le reste du marché, au détriment des autres acteurs implantés. Si les salles et les acteurs continuent de se multiplier, il faudra que le gouvernement ait un rôle de régulateur et qu’il ne privilégie pas davantage des sociétés étrangères au détriment des sociétés locales.

Au-delà de l’économie et du politique, ce renouveau des salles de cinéma me motive car cela veut dire que nous sommes sur la bonne voie. La venue de grands acteurs sur le continent ne peut être que de bon augure. Cela va stimuler la production locale, pousser les acteurs du milieu à s’améliorer, de pousser vers l’extraordinaire pour faire face à la concurrence.

Quel rôle joue aujourd’hui l’Etat dans le développement du cinéma ?

Aujourd’hui, nous ne sentons pas encore de prise de conscience et d’implication de la part des gouvernements dans le développement du cinéma africain. Mais c’est tout simplement car aujourd’hui, les salles de cinéma sont encore trop peu nombreuses.

Nous aurons besoin de l’aide de l’Etat notamment pour ce qui est de la création de salles de cinéma, la formation, des aides à la production. Il faut prendre conscience que le cinéma permet de faire la promotion d’un pays à l’international, il est le miroir d’un pays et d’une société. Il est donc nécessaire de le soutenir. Aujourd’hui, l’Afrique pâtit de cette mauvaise représentation alors qu’il existe tellement de choses positives qui se créent sur le continent. L’industrie du cinéma doit se développer localement pour refléter cela. Le cinéma est également très bon pour l’économie d’un pays, il suffit de regarder l’Afrique du Sud et le Nigéria qui aujourd’hui, pèsent dans l’industrie du cinéma sur le continent. Le cinéma peut contribuer au bien-être d’un pays et de sa population puisqu’il est un outil permettant d’éduquer les populations, de se divertir et de rassembler.

Est-ce que vous pensez que le renouveau des salles de cinéma peut accompagner le développement du cinéma africain ?

Oui car dans d’autres pays, l’une des principales sources de financement des producteurs demeure liée aux recettes perçues grâce aux salles de cinéma. En Afrique francophone, nous multiplions les producteurs mais pas les salles de cinéma et cela est négatif à mon sens. Plus on ouvrira de nouvelles salles de cinéma plus il y aura de points de contacts entre l’offre et la demande et plus les producteurs pourront vivre de leur métier. Grâce à un réseau solide de salles de cinéma, les producteurs pourront déjà gagner en notoriété localement puis s’exporter à l’international. Ainsi, nous pourrons accompagner le développement de l’industrie du cinéma sur le continent sans dépendre des blockbusters américains. Nous devons créer les infrastructures nécessaires pour que le cinéma africain fleurisse sur le continent premièrement et en bonus, à l’étranger.

 

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