Entretien avec Haby Niakaté, journaliste, réalisatrice et ancienne rédactrice en chef de l’émission « Le Chœur des Femmes »

Pouvez-vous nous présenter votre parcours en tant que femme dans les médias ?

Je n’ai pas un parcours « classique ». Je ne suis pas diplômée d’une école de journalisme, car j’ai choisi de suivre un cursus de Finances et Marketing à Sciences Po – Paris même si je me suis vite rendu compte que je n’étais pas faite pour la finance. J’ai donc choisi de prendre une année de césure pour mettre au clair mes projets d’orientation. Période pendant laquelle j’ai été embauchée en tant que stagiaire chez Direct 8, mon premier vrai job de journaliste.

L’avantage et aussi, le gros inconvénient de ce métier, c’est que les carrières se décident sur des rencontres et des coups de cœur. Après avoir terminé mes études, j’ai poursuivi dans l’audiovisuel puis peu à peu, je me suis interrogée sur ce qui m’animait vraiment. De là, j’ai eu envie d’aller découvrir l’Afrique.

J’ai donc intégré la rédaction de Jeune Afrique et ce, pendant 4 ans. Après l’ouverture d’un bureau à Abidjan, j’ai été envoyée sur place pour couvrir l’actualité de la Côte d’Ivoire. J’ai ensuite remplacé le correspondant du Monde pendant deux ans.

A mon arrivée en Côte d’Ivoire, j’ai tout de suite remarqué qu’il y avait un fort besoin en contenu audiovisuel. De ce constat, j’ai co-créé une société de production baptisée OJIII Production avec laquelle nous avons créé du contenu pour les acteurs audiovisuels locaux. Suite à un différend avec mon associé, la société a été mise en stand by l’année dernière. Entre temps, j’ai travaillé pour le groupe CANAL+ en tant que rédactrice en chef de l’émission « le Chœur des Femmes » diffusée sur CANAL+ Elles. Poste que j’ai quitté en décembre dernier. Aujourd’hui j’exerce mon métier de manière indépendante.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face en tant que femme dans le milieu des médias ?

Les problèmes que j’ai pu rencontrer en tant que femme évoluent avec les années et expérience. En début de carrière, à Paris, il fallait, comme pour chacun, créer son réseau, se faire sa place, dans un milieu où lorsque l’on est jeune et femme, l’on n’est pas tout de suite prise au sérieux. Mais cela toutes les femmes de ce métier, vous le diront. Avec l’expérience, on apprend à contrer ce genre de préjugés et surtout à vivre avec.

Au regard de mon expérience à Abidjan, je n’ai pas eu à faire face à ce type de difficultés mais il m’est difficile de me mettre à la place d’une femme qui aurait fait tout son parcours en Côte d’Ivoire. Je viens de l’étranger et forcément, quoi qu’on en dise, cela compte. Le réseau dans lequel j’ai « baigné » à Paris, m’a beaucoup servi en Côte d’Ivoire.

Si l’on faisait un état des lieux des femmes qui occupent des postes dans les médias en Afrique … Selon vous, parviennent-elles à atteindre des postes à responsabilité ?

Objectivement, je ne pense pas. Je vous donne un exemple. J’ai eu à travailler en tant que consultante pour un média qui souhaitait se développer en Côte d’Ivoire. A un certain niveau d’avancement du projet, la rédaction devait recruter près de 80 journalistes et gestionnaires de contenus. Sur l’ensemble des CV reçus (200-300), j’ai pu observer et analyser de nombreux profils évoluant dans le monde des médias.  Force est de constater qu’il y a de nombreux journalistes en Côte d’Ivoire… Mais qu’il s’agit d’une population très masculine et que les femmes y sont très rarement cheffes de rubriques, encore moins rédactrices en chef… J’ai également compris que si cette population était majoritairement masculine, c’était parce que beaucoup de femmes entamaient des carrières de journalistes puis y mettaient rapidement un terme. Le manque de considération, le manque de perspectives, les préjugés dès lors que l’on devient maman, les raisons sont nombreuses. Je vous invite d’ailleurs à lire une étude publiée en décembre 2020 par l’association African Women in Media, qui révélait que 66% des femmes journalistes africaines interrogées souffraient d’un manque de perspectives et d’opportunités dans leur carrière.

 

On parle souvent de sous-représentation des femmes dans les médias africains, ou de non équité dans la représentation. Qu’en pensez-vous ?

C’est complètement vrai. Comme les femmes journalistes sont peu en position décisionnaire, elles ont moins leur mot à dire sur les lignes éditoriales, sur les sujets traités ou sur la façon de les traiter. Lorsqu’un journal, une émission de télévision, doit traiter des sujets liés à certaines politiques publiques, à l’économie, à la santé, à l’éducation, la sensibilité du rédacteur en chef, des journalistes, compte énormément. En tant que femmes, en tant qu’africaines, de par notre vécu, nous n’analysons pas certains phénomènes de société de la même manière qu’un homme africain ou européen. Nous n’aurons pas les mêmes questions, nous n’interrogerons pas forcément les mêmes personnes, les mêmes sources. Cela ne veut pas dire que nos points de vue, sont meilleurs ou moins bien, cela veut juste dire, qu’ils sont différents et qu’ils ont donc, une valeur ajoutée.

Cependant, et depuis un peu plus d’un an, on vit un moment extraordinaire, avec la multiplication de plateaux de télé 100% féminin africains. Grâce à des émissions comme Le Chœur des Femmes (CANAL+ Elles) que j’ai eu la chance de diriger, mais aussi Life Weekend (Life TV) et Les Femmes d’Ici (NCI) en Côte d’Ivoire.  Les femmes s’y expriment librement, de manière complètement décomplexée. Certaines sont « grandes gueules », féministes, d’autres pas du tout … Et je trouve que cela fait un bien fou ! Même si cela ne plait pas à tout le monde…  Car ces émissions sont très clivantes, tant auprès des femmes que des hommes d’ailleurs, qui considèrent que ces formats montrent le mauvais exemple et conduisent à une occidentalisation des femmes africaines etc. Je trouve que ce sont des critiques éculées, émises par des personnes, qui n’ont toujours pas compris qu’en 2021, la femme africaine était plurielle et qu’elle guidait sa vie comme elle l’entendait, en piochant des références dans des traditions africaines ou dans la religion lorsqu’elle le souhaite, dans une culture mondialisée (et non pas seulement occidentale) lorsqu’elle en a envie.

Comment contribuer au changement pour que le monde des médias soit plus inclusif ?

Il faut multiplier les projets audiovisuels et digitaux portés par des Femmes. Que les patrons de chaînes de télévision, de médias, fassent confiance, davantage encore aux femmes et nous arriverons à faire changer les choses. Et j’espère que les femmes porteuses de contenus originaux, très suivies sur les réseaux sociaux, comme Paola Audrey et son excellent Debrief, seront bientôt propulsées sur des chaînes TV de premiers plans.  Il faut aussi beaucoup plus d’entraide entre les femmes dans les médias, dans cette région ouest-africaine francophone. A ce titre, ce qu’il se passe aujourd’hui dans les pays anglophones du continent, est très intéressant. Les femmes y sont beaucoup plus structurées, dans des organisations comme African Women in Media, et y ont donc beaucoup plus d’impact.