Entretien avec Léa Zouein, analyste senior chez Dataxis

Léa Zouein est analyste senior chez Dataxis, spécialisée dans les études de marché pour l’industrie des technologies, des médias et des télécommunications en Afrique et au Moyen-Orient. Elle est titulaire d’un master en gestion de l’ESSEC Business School et d’un double diplôme de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

Au sein de Dataxis, Léa mène des recherches sur la distribution de la télévision payante et gratuite, l’OTT et le streaming vidéo, les télécommunications, les contenus, ainsi que les technologies de la télévision et du haut débit. Elle écrit des articles sur les tendances du marché et les innovations, et prépare des panels pour des conférences dans les régions qu’elle couvre, notamment Nextv Series East Africa et CTV Ad Days MENA.

Pouvez-vous me décrire l’activité de Dataxis et quels sont les principaux secteurs couverts ?

Dataxis est une société d’études de marché et d’organisation d’événements, basée à Berlin et comptant des bureaux à l’île Maurice, Paris et à Buenos Aires qui opère actuellement dans 3 secteurs :

– les Études de marché dans les  secteurs de la télévision, de l’OTT, des télécommunications, des médias et du digital, couvrant plus de 50 marchés, 200 pays et plus de 4 000 acteurs,

– l’ Organisation d’événements réunissant des experts et des entreprises des secteurs de la télévision, de l’OTT, de la publicité (CTV Advertising), des télécommunications et du retail media. 26 conférences sont organisées en 2024
– la Publicité : avec la mise en place de services marketing pour générer des leads par la création de livres blancs et d’envoi d’emails blasts à une base de données de 60 000 contacts qualifiés.

Qui sont vos clients principaux ?

Les principaux clients de Dataxis sont des plateformes OTT, groupes audiovisuel, chaînes de télévision, opérateurs télécom, opérateurs satellites, fournisseurs de technologies (OEM) et des cabinets de conseil.
Parmi eux Amazon Prime, Disney, Google, NBC, Sony Pictures, Nokia, Canal+, Orange, Eutelsat, SES, TV5, France 24, Euronews … et bien d’autres


Avec quelles sources alimentez-vous vos bases de données
?

Pour les données trimestrielles et annuelles, nous utilisons les rapports des acteurs du marché: (communiqués de presse, rapports financiers, présentations aux investisseurs …). Nous utilisons également les rapports des régulateurs; les articles de presse,

Nous échangeons avec les acteurs du marché, clients, prospects et intervenants dans nos conférences, afin de mieux comprendre le marché;

Nous suivons également les annonces des autorités locales pouvant avoir un impact sur les secteurs que nous couvrons tels que l’attribution de licences ou la mise en place de nouvelles réglementations;

En plus de ces sources, nous sommes également en mesure de réaliser des recherches quantitatives et qualitatives pour collecter et analyser des données consommateurs.

L’organisation de conférences nous permet également de recueillir des informations auprès d’experts du secteur.

Cette année, quatre événements sont consacrés à l’Afrique Sub-Saharienne: Nextv Series East Africa (25 juin 2024), Nextv Series Southern Africa, CTV Ad Days Africa et Retail Media Days Africa (15 octobre 2024).

Concernant l’ASS, quels secteurs de l’audiovisuel couvrez-vous ?

En Afrique Sub-saharienne  nous couvrons la distribution de la télévision, les services OTT et la musique et produisons de façon trimestrielle depuis 2002 un certain nombre d’indicateurs comme le nombre d’abonnés par opérateurs, les revenus et les ARPU selon les technologies nous effectuons des prévisions sur cinq ans par opérateur ou par plateforme et par pays  nous suivons la structure de l’actionnariat, des acquisitions et des fusions; la stratégie des télédiffuseurs sur Youtube, les revenus publicitaires et le financement public des chaînes de télévision gratuites ; le suivi des partenariats de distribution entre opérateurs de télévision, opérateurs de télécommunication et plateforme OTT, l’Analyse mensuelle des catalogues de contenus de chaque plateforme par pays en termes de genres/sous-genres de films et séries, modèle économique (AVOD / SVOD / location / achat), sociétés de production, pays d’origine, langue, date de sortie, budget, recettes au box-office.

Comment voyez-vous l’évolution de la TV payante en ASS ?

D’ici 2028, le nombre d’abonnés à la télévision payante devrait être multiplié par 1,4 pour atteindre 19 millions. Le satellite reste actuellement la technologie la plus utilisée avec 32% des abonnés à la télévision payante.

Canal+ domine largement le marché avec environ 63% de parts de marché du nombre total d’abonnés à la télévision payante dans la région. Que ce soit sur le satellite avec 87% des abonnés ou sur la TNT avec 37% des parts de marché, Canal+ consolide sa position de leader en Afrique francophone.

Néanmoins, certains acteurs peuvent bousculer l’ordre établi. C’est le cas par exemple de Startimes, qui a une offre DTT assez développée dans la région et qui capte 38% des parts de marché sur cette technologie. Un enjeu crucial se joue également autour de l’acquisition de contenus premium, en particulier les droits de diffusion des compétitions sportives, comme l’illustre la perte par Canal+ des droits de la Coupe du Monde 2022 au profit de New World TV, un petit opérateur togolais émergent. Cette situation souligne l’importance stratégique de l’offre de contenus proposée, et plus particulièrement de contenus sportifs, encore très appréciés sur grand écran.

En effet, les opérateurs de télévision payante doivent faire face à des défis majeurs tels que la fixation de prix abordables pour une population aux revenus limités, la nécessité d’équiper les foyers en matériel de réception, la lutte contre le piratage et la concurrence croissante des plateformes de streaming (OTT).

La TNT est désormais techniquement présente dans presque tous les pays. Quels sont les pays où celle-ci est la plus importante en termes d’équipement réel ?

Quatre pays francophones ont achevé leur transition : le Rwanda (2014), le Burkina Faso (2017), le Gabon et la Côte d’Ivoire (2020). Dans les autres pays, la transition est encore en cours comme au Bénin où 95% de la population était couverte par le réseau TNT en 2021 et le Sénégal (92% en 2020). Pour autant, l’adoption effective reste faible : 17% au Rwanda en 2023, 9% au Burkina Faso, ou encore 10% au Bénin.

Le déploiement de la TNT fait face à plusieurs défis majeurs. Tout d’abord, la transition vers le numérique nécessite des ressources financières importantes pour déployer les infrastructures nécessaires et fournir des équipements à tous les ménages tels que les antennes et les décodeurs qui doivent généralement être importés.

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a investi 46.5 millions de dollars pour mener à bien le projet. Plus le territoire est grand, plus l’infrastructure requise est importante. Le manque de sensibilisation d’une partie des téléspectateurs à ce qu’implique la migration constitue un obstacle supplémentaire à l’achèvement efficace du processus. Dans certains cas, les objectifs visés par la numérisation peuvent ne pas être suffisamment tangibles pour justifier l’achat d’un décodeur pour les ménages, en particulier lorsque ces investissements ne sont pas subventionnés.

Cela explique pourquoi, pour respecter le délai fixé par l’UIT, certains pays ont parfois éteint leur signal analogique avant même que tous les foyers TV soient équipés pour recevoir la télévision terrestre. Au Kenya, en Afrique anglophone, en 2015, plus de 1,3 million de foyers TV ont perdu leur accès à la télévision terrestre gratuite après l’arrêt de l’analogique. D’autres pays, comme le Bénin, ont opté pour une approche plus progressive. Le pays a officiellement lancé la TNT en février 2023, après avoir construit suffisamment d’infrastructures pour couvrir 96 % de la population. Le pays avait également annoncé qu’il ne couperait pas le signal analogique tant que la TNT ne serait pas maîtrisée et adoptée par sa population. Les autorités prévoient finalement d’arrêter définitivement les signaux analogiques d’ici août 2024.

Le rapprochement entre CANAL+ et Multichoice se précise. Qu’est-ce que cela devrait changer selon vous en AFSS mais aussi en Afrique Anglophone ?

Cette opération créerait un géant panafricain de la télévision, contrôlant environ 60% des abonnements à la télévision payante dans la région. Si la position de Canal+ resterait stable en Afrique francophone, où il détient déjà 63% du marché, son influence s’étendrait considérablement en Afrique anglophone, passant de moins de 1% actuellement à 60% des parts de marché. Canal+ obtiendrait ainsi un quasi-monopole sur l’offre de télévision payante en Afrique subsaharienne, même si le groupe français n’envisage pas de faire disparaître les marques de Multichoice.

Le nouvel ensemble disposerait d’une envergure suffisante pour concurrencer les grandes plateformes internationales de streaming comme Netflix et Disney+. Cette consolidation permettrait d’accroître les investissements dans la production de contenus locaux, renforçant ainsi l’offre africaine. La collaboration existante entre Canal+ et Showmax, notamment avec le succès de la série « Spinners », première série africaine sélectionnée en compétition à Canneseries en 2023, illustre déjà ce potentiel.

La fusion donnerait également à Showmax l’opportunité d’enrichir son catalogue en combinant son offre actuelle avec celle de Canal+ mais aussi d’élargir son audience au-delà du continent africain en profitant du rayonnement mondial du groupe français. Showmax et Netflix dominent aujourd’hui le marché avec 60% des abonnés OTT d’Afrique Sub-Saharienne. Le groupe formé par Canal+ et Multichoice bénéficierait ainsi d’une position renforcée pour négocier des droits exclusifs et développer des contenus attractifs.

En revanche, cette consolidation soulève des questions concernant la concurrence dans la région. La création d’un quasi-monopole pourrait impacter les prix des abonnements et mettre en difficulté les petits opérateurs locaux, les obligeant à se consolider ou à se recentrer sur des offres plus spécialisées ou des contenus de niche pour survivre.

Bien que la législation sud-africaine pose actuellement des obstacles à cette acquisition, sa réalisation marquerait une étape majeure dans l’évolution du secteur audiovisuel en Afrique sub-saharienne. Le nouvel ensemble, potentiellement coté en Europe et à Johannesburg, pourrait insuffler une nouvelle dynamique au marché et stimuler d’autres consolidations en réponse à cette concurrence accrue.


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