Quel avenir pour la TNT en Afrique francophone sub-saharienne ?

L’Union Internationale des Télécommunications, vient de publier son état des lieux 2022 qui révèle que seuls 15 pays sur les 54 pays que compte le continent africain ont achevé leur migration vers la télévision numérique terrestre : l’Algérie, la Côte d’Ivoire, l’Eswatini, le Gabon, la Guinée Bissau, le Kenya, le Lesotho, le Liberia, le Malawi, Maurice, le Maroc, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie et la Zambie.

Selon cet état des lieux, plusieurs grands pays comme l’Afrique du sud, le Nigéria, le Sénégal, le Cameroun ou la RDC sont toujours dans le processus de migration.
Lorsqu’on pose la question de savoir pourquoi il est si important de migrer vers la TNT la réponse est : afin de permettre aux opérateurs télécom de bénéficier des fréquences libérées par le passage d’une diffusion analogique à une diffusion numérique. Les autres raisons invoquées concernent l’amélioration de la qualité de l’image reçue et surtout l’augmentation du nombre de chaines que l’on peut proposer aux téléspectateurs.
Dans la plupart des pays cette révolution technologique a donc été mise en place sous la pression des opérateurs télécom et des « nouveaux entrants » c’est-à-dire ceux qui voulaient se lancer en télévision gratuite mais n’avait pas la possibilité de le faire faute de fréquences disponibles.
Les chaines existantes ne voulaient pas bien sûr de cette évolution car la modernisation de leurs infrastructures allait leur coûter cher et surtout l’arrivée de nouvelles chaines allaient remettre en cause les équilibres et leur faire perdre des parts de marché au profit des « nouveaux entrants ».
C’est donc sous la pression conjointe des opérateurs télécom et du législateur lui-même qui souhaitait tirer des revenus importants liés à la vente des fréquences aux opérateurs Télécom et ouvrir le marché publicitaire à la concurrence, que la TNT a pu se développer en Europe ou ailleurs.

Ainsi en Europe, les fréquences UHF au-dessus de 700 Mhz libérées par la télévision analogique ont été attribuées aux opérateurs télécom et vendues à prix d’or par les Etats : on les appelle les fréquences en or. Elles présentent la particularité de permettre au réseau mobile de mieux pénétrer dans les immeubles — ces ondes traversent le béton — et d’être très utiles dans les zones peu denses, car elles assurent une bonne couverture avec un nombre limité d’antennes

La mise aux enchères de ces fréquences aux opérateurs télécom ont rapporté par exemple 3,6 Mds à l’Etat français, et permis de baisser drastiquement le coût des abonnements pour la population grâce à la concurrence générée par l’arrivée d’un 4ème opérateur.
Tous ces bénéfices, qui pouvaient être de véritables arguments il y a 15 ou 20 ans dans la plupart des pays du monde n’ont pourtant pas du tout le même poids aujourd’hui en Afrique.

La diffusion par satellite et la diffusion pirate (par câble) a permis depuis de longues années de proposer aux téléspectateurs africains d’accéder à une multitude de chaines de qualité internationale et avec une qualité d’image supérieure à celle de la télé analogique. Un « nouvel entrant » pourrait se lancer demain dans un pays où la TNT n’existe pas en s’appuyant sur les plateformes de diffusion existantes et de toutes façons, il n’y a pas de véritable demande pour d’avantage de chaines.

Par ailleurs, les opérateurs Télécom montrent peu d’intérêt à l’utilisation des « fréquences en or » qu’ils pourraient utiliser mais qui nécessiterait des investissements qu’ils ne sont pas prêts à consentir.

Ainsi, au lieu de chercher à exploiter les fréquences libérées grâce à la TNT (au-dessus de 700 Mhz), les opérateurs télécom font du lobbying pour utiliser eux-aussi les fréquences attribuées à la télévision (en dessous de 700Mhz) ce que l’UAR refuse à juste titre car partager ces fréquences peut limiter le développement de la télévision dans certaines régions.

Dans ce contexte, les principaux bénéfices de la TNT disparaissent : les fréquences libérées ne sont utilisées par personne et l’arrivée de nouvelles chaines reste limitée pour des raisons financières liées à la faiblesse du marché publicitaire TV et l’existence d’une offre audiovisuelle déjà très large et très bien implantée.

Pour se conformer à leurs engagements internationaux, les Etats africains ont investi des millions de dollars pour développer une technologie qui, compte tenu de la forte pénétration des autres moyens de diffusion, n’a d’avenir que si les opérateurs télécom s’en emparent ou sont forcés à s’en emparer.

Cela permettrait un accès au numérique plus large et moins coûteux pour la population africaine. Mais la fenêtre de tir pour résoudre ce problème est limitée dans le temps. Les géants du numérique comme Google ou Meta ont lancé il y a plusieurs années avec d’autres grands acteurs dont certains opérateurs Télécom, des programmes gigantesques de câblage autour de l’Afrique (2 Africa et Equiano ) qui rendront bientôt obsolète l’utilisation des fréquences de la TNT.