A l’échelle panafricaine, le site Africa Check opère depuis 2012 pour promouvoir l’exactitude et l’honnêteté dans le débat public et les médias en Afrique. L’organisation compte 4 bureaux officiels à Nairobi, Johannesburg, Lagos et Dakar qui s’adonnent à « séparer la réalité de la fiction » en vérifiant au quotidien les fausses informations qui circulent sur le continent afin de lutter activement contre la désinformation.
A l’occasion des dix ans de l’organisation, les rédacteurs en chef au Kenya, Sénégal, Afrique du Sud et Nigeria dévoilent les 10 grands enseignements tirés de ces années d’activité, en particulier lors des grandes périodes électorales pendant lesquelles l’honnêteté du débat public est primordiale :
- L’importance du contexte local. Si les fake news sont un phénomène global, il n’y a pour autant pas de stratégie unique à déployer pour les éradiquer. Selon les rédacteurs en chef d’Africa Check « les fausses informations – les personnes qui les diffusent et leurs motivations, les plateformes sur lesquelles elles sont diffusées et le type de sujets – varient considérablement d’un pays à l’autre… » et notamment sur le continent africain. Il est donc nécessaire de comprendre chaque pays, chaque situation pour décider de la meilleure stratégie de vérification de faits à adopter.
- L’importance du collectif pour la vérification des informations. Africa Check a depuis ses débuts, multiplié les initiatives et les collaborations avec des partenaires médias, des influenceurs, associations, plateformes de social media pour renforcer leur travail, l’intégrité de l’information mais aussi mener des actions de sensibilisation aux Fake news. L’objectif étant d’avoir un impact durable sur la désinformation.
- L’importance de ne pas se cantonner à la vérification de faits. La propagande et les fausses informations sont un phénomène « tentaculaire » qu’il est parfois difficile d’arrêter. Au-delà de la vérification de faits en tant que telle, il est primordial d’éduquer et de sensibiliser aux enjeux du fact checking pour lutter activement contre la désinformation. Et cela passe nécessairement par l’éducation aux médias, le journalisme de vérité, les collaborations avec les institutions pour améliorer la qualité de l’information et l’accès du public. Africa Check multiplie ainsi les formations et masterclass pour accompagner le développement de l’esprit critique du plus grand nombre
- Le cadre législatif contre les fausses informations peut avoir ses limites. De nombreuses lois sont adoptées dans les pays africains pour lutter contre les fausses informations mais selon Africa Check, ces lois peuvent aussi porter atteinte à la liberté d’expression. Selon une étude menée en 2021 par le fondateur d’Africa Check, Peter Cunliffe-Jones, les lois contre les fausses informations ne réduisent pas nécessairement les effets néfastes de la désinformation.
- Il faut s’attaquer aux plateformes sociales « fermées ». Nous le savons tous, les réseaux sociaux sont inondés de fake news. Pour cela, Africa Check collaborent avec les plateformes dites « ouvertes » telles que Twitter, Instagram et Facebook. Mais la tâche est plus difficile quand il s’agit des plateformes sociales dites « fermées » comme Whatsapp ou Telegram. Ces plateformes sont largement utilisées par des personnalités politiques pour faire campagne. Pour ralentir la propagation des fausses informations en période électorale, Africa Check a initié le projet « Fact ambassadors». Grâce à un réseau de volontaires, les équipes peuvent ainsi avoir accès à des fausses informations et affirmations douteuses qui circulent sur ces plateformes. La vidéo est un véritable fléau en matière de désinformation. Les courtes vidéos truquées sont de plus en plus utilisées dans les campagnes politiques pour manipuler l’opinion publique. Tik Tok est d’ailleurs largement utilisée mais Youtube également ! Les équipes d’Africa Check ont d’ailleurs récemment publié une lettre ouverte destinée à la plateforme Youtube accusée de laisser circuler les fausses informations dans le monde entier. « Nous constatons que YouTube est l’un des principaux vecteurs de désinformation en ligne dans le monde. Ceci est une préoccupation majeure au sein de notre communauté mondiale de fact-checkers. Nous constatons l’absence criante d’initiatives de la part de YouTube pour mettre en œuvre des politiques visant à s’attaquer au problème. »
- L’importance de l’expérimentation, de l’innovation et de l’adaptation. Les personnes qui diffusent des fausses informations redoublent de créativité et de stratégies pour détourner les réglementations et continuer d’œuvrer pour la désinformation. Les équipes d’Africa Check doivent donc en permanence trouver de nouvelles stratégies pour identifier les fausses informations, quel que soit le canal, jusqu’à utiliser des outils basés sur l’intelligence artificielle pour identifier et vérifier rapidement les informations.
- L’importance du « silence stratégique ». En période électorale, les rédacteurs en chef d’Africa Check observent que la désinformation politique est parfois utilisée pour détourner l’attention des vérificateurs de faits et ainsi diffuser d’autres fausses affirmations. Il est donc parfois judicieux de ne pas vérifier une fausse information, au profit d’un autre sujet à traiter qui pourrait avoir un véritable impact.
- Vérifier les informations entre les scrutins. Selon l’équipe d’Africa Check « travailler dans le calme relatif entre les élections signifie que les projets et les organisations auront le temps d’améliorer les compétences et les connaissances nécessaires pour identifier et comprendre les tendances. Ils auront également le temps d’établir des relations avec les institutions et les agences de statistiques, et de développer une expérience qui leur permettra de s’engager de manière significative avec des personnalités publiques. »
- L’importance du public. Africa Check tire un dernier constat de ces années d’activité : il est primordial de rester connecté à son public en lui demandant de soumettre les informations à vérifier tout en protégeant la vie privée. Et cela nécessite de travailler en langues locales.