Charli Beléteau est un auteur, scénariste, showrunner et réalisateur français.
Il a écrit avec la célèbre scénariste ivoirienne de bandes dessinées Marguerite Abouet, la série télévisée « C’est la vie », et a formé à cette occasion des dizaines de talents africains.
Propos recueillis par Edouard Char pour Adweknow lors de l’événement Cannes Séries
Interview de Charli Beléteau :
AWK : Bonjour Charli Beléteau. Vous êtes auteur, réalisateur, et formateur. Vous avez notamment animé une masterclass dans le cadre de Cannes Séries, et vous avez formé de nombreux scénaristes en Afrique. Où en êtes-vous aujourd’hui dans ce travail de formation ?
Charli Beléteau : Je fais un travail de formation directement sur le terrain. À chaque projet que j’ai mené avec des Africains, j’ai toujours souhaité former des auteurs pour qu’ils puissent écrire et réaliser les épisodes commandés. Par exemple, avec Marguerite Abouet, nous avons beaucoup travaillé sur la série C’est la vie, un programme de 26 minutes par épisode. Nous avons tourné plusieurs saisons et formé une trentaine de scénaristes au total durant les 3 premières saisons.
Par la suite, sur une autre série plus exigeante en termes d’écriture, j’ai recruté des auteurs originaires de différents pays d’Afrique de l’Ouest francophone. Nous avons mené une formation sur site pour écrire 14 épisodes de 45 minutes chacun, sur une durée d’un an et demi, à travers une dizaine d’ateliers. Une dizaine de scénaristes ont été formés à cette occasion.
AWK : Il ne s’agit donc pas de formations académiques ?
CB :Non, nous agissons au coup par coup, sur le terrain en fonction des budgets de développement que nous parvenons à réunir.
AWK : Avec quels partenaires ?
CB :Avec Marguerite Abouet, nous avons travaillé avec la société Keewu dirigée par Alexandre Rideau et rachetée récemment par Mediawan. Les financements provenaient notamment de CFI, de l’Agence française de développement (AFD), et d’autres bailleurs. Alexandre, ayant une expérience dans les ONG, connaissait bien les mécanismes de financement. Cela lui a inspiré la création d’une production audiovisuelle issue de cette dynamique. Les bailleurs souhaitaient intégrer des messages sur la sexualité, la place des femmes dans la société, la polygamie…et nous faisions passer ces messages directement dans les histoires, les dialogues sans que ce soit commandité
AWK : Comment se faisait la sélection des scénaristes ?
CB : On lançait des appels à candidatures via la plateforme de CFI lorsqu’elle existait encore. Après sélection sur dossier, environ 10 % des candidats étaient retenus. Cela concernait aussi bien l’écriture que la réalisation.
AWK : La série C’est la vie a donc vu le jour grâce à ce dispositif ?
CB :Oui. C’est une série de 26 minutes par épisode, avec plus de 100 épisodes tournés. Nous avons formé énormément de scénaristes, de techniciens, de réalisateurs. Il y avait aussi des formations accélérées sur le tournage à deux caméras, la direction d’acteurs, etc. Nous avons également fait beaucoup d’approches de travail, de répétition avec les acteurs qui, souvent, n’avaient jamais joué.
Pour les techniciens, le montage, c’était un peu la même chose. On essayait de trouver des techniciens en cours de formation, mais en les associant d’abord à des professionnels qui connaissaient un peu mieux le métier.
Sur cinq ans, nous avons formé plus de 500 personnes, de l’écriture jusqu’à l’interprétation.
AWK : Et ces formations ont-elles débouché ensuite sur d’autres opportunités d’emploi pour les stagiaires ?
CB :Oui. Au début, C’est la vie a permis à beaucoup de jeunes talents de trouver du travail sur d’autres séries. Marguerite et moi avons passé le relais au bout d’un moment, mais la dynamique a continué, et d’autres productions se sont développées dans la région.
AWK : Comment voyez-vous aujourd’hui le marché audiovisuel en Afrique de l’Ouest ?
CB :Il progresse bien. Canal+ a énormément dynamisé la production locale, tout comme l’émergence de petites chaînes et de plateformes en ligne.
C’est sûr que l’arrivée de Canal Plus international, avec la création de la chaine A+ a permis de faire travailler tout un réseau d’auteurs, de talents aussi, et a permis aux techniciens de se former de plus en plus, puisque il y avait du travail : c’est en travaillant qu’ils se sont formés.
En Afrique il y a des écoles de formation aux métiers de l’audiovisuel mais elles n’ont pas forcément les moyens et sont trop peu nombreuses par rapport aux besoins.
Par ailleurs les télévisions nationales produisent encore peu, à part peut-être la RTI, mais les budgets sont encore trop limités pour que l’on puisse avoir une qualité imbattable.
AWK : Et du côté de TV5Monde ?
CB : TV5Monde et Canal+ sont les deux piliers du développement de la fiction africaine francophone. TV5Monde qui faisait du pré-achat est devenu coproducteur, au même titre que Canal Plus, mais avec des possibilités moindres,
Canal+ est plutôt axé séries et en produit je crois une dizaine par an, tandis que TV5Monde reste une chaîne généraliste avec seulement quelques co-productions par an. Mais ils font aussi du pré-achat sur des séries locales, au Cameroun, en Burkina, au Sénégal, en Côte d’Ivoire,
TV5Monde nous a soutenus dès le début sur Wara, en passant du pré-achat à la coproduction.
AWK : Votre approche a-t-elle évolué depuis que vous avez commencé à travailler en Afrique ?
CB : Mon objectif reste de travailler dans le monde francophone, avec toute la richesse culturelle que cela représente. Moi, mon désir c’est de travailler dans le monde francophone parce que c’est d’une grande richesse culturelle et qu’il y a une ouverture incroyable au niveau des sujets, de la façon d’écrire, etc.
Le partage avec des auteurs très différents d’un pays à l’autre, qui parlent tous la même langue mais avec des cultures différentes c’est vraiment chouette.
Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir parler de mon ressenti en vivant toutes ces aventures en Afrique de l’Ouest et de pouvoir donner aussi les moyens à ces séries d’exister ailleurs qu’en Afrique, sur le continent africain.
Le projet Wara a ainsi été une première reconnaissance internationale pour une série africaine, puisqu’il a été présenté à Série Mania
AWK : Vous espérez donc que les séries africaines puissent toucher un public au-delà du continent ?
CB : C’est l’idée. Si l’on peut vendre des séries en dehors de l’Afrique, cela permettra de diversifier les financements et de renforcer la qualité de production. J’aimerais pouvoir être, avec d’autres auteurs africains d’Afrique de l’Ouest, francophones, à l’écriture d’une série qui serait vue autant sur le continent africain qu’en Europe par exemple.
Aujourd’hui, je développe un nouveau projet qui mêlera des intrigues qui se passent en Côte d’Ivoire et en France. J’espère que ce projet pourra justement montrer le lien qu’il y a entre ces deux continents..
AWK : Vous travaillez en collaboration avec une autrice africaine ?
CB : Oui, nous sommes encore en écriture avec Awa Ba, que j’avais déjà rencontrée lors des ateliers d’écriture de Wara. Elle a une très belle plume. C’est un projet qui mêle la mode, l’Afrique et Paris, un vrai regard croisé.
Nous avons passé une première phase, et nous travaillons avec un producteur très impliqué. Nous sortons d’une résidence d’écriture à La Rochelle et nous irons bientôt présenter le projet aux distributeurs étrangers
AWK : Est-ce que vous estimez que votre travail de formation est abouti et qu’il y a suffisamment de talents maintenant sur place pour développer une vraie industrie de série ?
CB : C’est une bonne question mais non, bien au contraire. Il faut toujours faire émerger de nouveaux talents. Heureusement, il existe désormais quelques structures locales comme Kourtragemé à Dakar. Ce sont des gens qui donnent beaucoup et qui sont à la recherche de talents et qui les font émerger et c’est formidable.
Il y a aussi l’expérience au Bénin avec le gouvernement, TV5MONDE et Mediawan.
Je continue moi-même de former de jeunes auteurs, actuellement à Bangui, en Centrafrique.
J’y travaille avec des jeunes qui sont super intéressants, qui ont un vrai regard sur leur société et le monde d’aujourd’hui.
J’y ai rencontré une jeune universitaire qui écrit une histoire sur la malbouffe dans un pays où la malnutrition est très importante et elle écrit ça avec un humour incroyable. C’est vraiment intéressant car elle démarre l’écriture sans savoir écrire une sitcom, sans avoir jamais écrit de scénario. Évidemment c’est un peu chaotique au début mais ce n’est pas compliqué d’apprendre à écrire: c’est comme les mathématiques, il faut savoir mettre en place la démonstration et ça fonctionne bien. J’adore faire ça : défricher, ouvrir de nouveaux horizons dans des endroits où on ne penserait pas que ça puisse exister.
AWK : Vous êtes donc optimiste pour l’avenir de l’audiovisuel africain.
CB : Oui, absolument. Ces pays ont énormément d’histoires à raconter. Ils nous apporteront demain des récits puissants et nouveaux.