Droits sportifs en Afrique : les nouveaux maîtres du jeu

Le marché des droits sportifs a connu, dans le monde et en Afrique, une transformation spectaculaire en seulement quatre ou cinq ans. Cette mutation a été marquée par la disparition ou l’affaiblissement de certains acteurs historiques, l’émergence de nouveaux venus — notamment des géants du numérique —, et une révolution technologique profonde qui redéfinit la diffusion et la consommation des retransmissions sportives.

Trois acteurs essentiels

Pour simplifier, le marché des droits sportifs s’articule autour de trois grands types d’acteurs : les Ayants droits, les Diffuseurs et les Agences de droits sportifs, des intermédiaires spécialisés dans la commercialisation de ces droits. Une activité potentiellement très rémunératrice, mais également extrêmement risquée.

1. Les Ayants droits

Un droit sportif correspond à un contrat commercial liant un diffuseur à un ayant droit, véritable propriétaire du contenu sportif. Ce dernier peut être une fédération, une ligue, une association ou une société privée, selon la discipline et la compétition concernées.

En Afrique, c’est la Confédération Africaine de Football (CAF) qui détient les droits des grandes compétitions panafricaines comme la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ou le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN).
La FIFA et l’UEFA possèdent les droits de compétitions telles que la Champions League, l’Europa League, la Coupe du Monde de Football ou encore la Coupe du Monde des Clubs, qui se déroule actuellement.

D’autres droits sont détenus par des sociétés commerciales comme la Premier League, qui gère les droits du championnat anglais, ou la NBA, qui commercialise les droits du basketball américain au niveau mondial.

2. Les Diffuseurs

Pour maximiser leurs revenus, les Ayants droits ont progressivement segmenté leurs offres, réduit la durée des contrats, et commercialisé les droits par territoire ou langue.

Pay TV et Free TV

La première segmentation historique consiste à vendre les droits par territoire (pays, régions linguistiques…). Puis, avec l’arrivée des premiers acteurs de télévision payante, une nouvelle distinction est apparue entre les droits Pay TV et Free TV — ces derniers étant réservés aux chaînes gratuites.

Disposant de ressources importantes issues de la vente d’abonnements, les acteurs de la Pay TV (CANAL+ Afrique, StarTimes, SuperSport, beIN Sports, New World TV…) achetent généralement l’ensemble des matchs en exclusivité, sur la totalité de leur zone de diffusion.

Mais sous la pression des populations, excédées de devoir s’abonner pour suivre leur équipe nationale, les ayants droits ont entamé une nouvelle stratégie : vendre les droits en différenciant les types de diffuseurs. C’est aussi une façon d’augmenter le revenu lié à la vente des droits.
Les chaînes publiques (RTS, RTI, ORTM…) ou privées (NCI, TFM, Canal 2 International…) ont ainsi pu acquérir des packages Free TV, souvent constitués d’une sélection de matchs vendus en non exclusif.

Ainsi, durant la CAN 2023, pas moins de trois diffuseurs retransmettaient simultanément les matchs en direct en Côte d’Ivoire : CANAL+ CAN en Pay TV, NCIRTI1 et La 3 en Free TV.

Pour protéger les chaînes gratuites, la Côte d’Ivoire — seul pays africain à avoir appliqué une telle mesure — a établi une liste de compétitions ou événements sportifs « d’importance majeure » dont les chaînes payantes ne peuvent se réserver l’exclusivité de la retransmission. Cette réglementation existe dans plusieurs pays européens.

Plateformes numériques, streaming et IPTV

Cet équilibre entre chaînes gratuites et payantes est désormais remis en cause par l’arrivée des acteurs digitaux :
Amazon Prime VideoDAZNAppleFacebookYouTubeGoogleOrangeMTN… ont commencé aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie à investir massivement dans les droits sportifs, notamment pour séduire les jeunes générations et les marchés émergents.

L’Afrique n’est pas encore concernée par cette nouvelle concurrence sauf lorsqu’un opérateur comme DAZN acquiert les droits mondiaux d’une compétition mais le phénomène est  appelé à se généraliser.

En parallèle, le piratage numérique lié à l’IPTV constitue un défi majeur, incitant ayants droits et diffuseurs à renforcer leurs dispositifs technologiques et juridique de protection des contenus.

3. Les Agences de droits sportifs (Media Rights Agencies)

Les Agences de droits sportifs, ou Media Rights Agencies (MRA), jouent un rôle clé d’intermédiaire. Elles acquièrent les droits auprès des ayants droits — souvent avec un montant garanti — puis les revendent à des diffuseurs afin de rentabiliser leur investissement.

Cette activité, à la fois lucrative et périlleuse, a déjà provoqué la chute ou la restructuration de plusieurs agences majeures.
MP & Silva, autrefois incontournable, a été liquidée en 2018 après des défauts de paiement.
Lagardère Sports, qui commercialisait de nombreux droits en Afrique, a été vendue et rebaptisée Sportfive en 2020, avant de cesser toute activité sur le continent.

Ces dernières années, plusieurs groupes chinois ont également tenté l’aventure :

  • Wanda Sports a racheté Infront Sports & Media (créée par Robert-Louis Dreyfus).
  • Orient Hontai Capital a acquis Mediapro en 2018 avec le fiasco que l’on sait sur les droits de la Ligue 1

Aujourd’hui, un nouvel acteur africain, New World TV, a repris le flambeau. Depuis trois ans, il joue à la fois le rôle d’éditeur et diffuseur de chaînes payantes, mais aussi d’agence de droits sportifs.

New World TV occupe la position laissée vacante par Lagardère Sports, en acquérant les droits Free to Air des compétitions organisées par la CAF, la FIFA et l’UEFA, qu’elle revend ensuite aux chaînes de télévision gratuites africaines.

La Coupe du Monde des Clubs illustre bien cette nouvelle complexité :
La FIFA a vendu les droits mondiaux à DAZN, qui les a sous-licenciés pour l’Afrique subsaharienne à New World TV. Ce dernier s’appuie sur MMS et PDPLUS Group pour les commercialiser auprès des chaînes nationales.

Une recomposition toujours en cours

New World TV, qui a multiplié les investissements pour acquérir les droits majeurs du football en Afrique, devra désormais affronter une nouvelle concurrence.

CANAL+, leader de la télévision payante en Afrique francophone subsaharienne avec plus de 8 millions d’abonnés, finalise actuellement le rachat de Multichoice, leader en Afrique du Sud et dans les pays anglophones.

Cette fusion, une fois entérinée (au plus tard le 8 octobre), permettra à la nouvelle entité de négocier à l’échelle continentale — ce qui compliquera la tâche de New World TV, qui bénéficie pour l’instant d’une fenêtre d’opportunité stratégique.

Un écosystème en pleine mutation

Le marché des droits sportifs est devenu un écosystème complexe, mondialisé, dans lequel se croisent :

  • Acteurs traditionnels et nouveaux entrants
  • Stratégies d’investissement à court ou long terme
  • Innovations technologiques

La concurrence entre CANAL+ et New World TV va s’intensifier, en particulier dans le football, sport roi en Afrique. Mais d’autres acteurs — issus du streaming et des géants du digital — se préparent aussi à entrer dans l’arène.

L’avenir des droits sportifs africains s’annonce ouvert, mouvant et hautement stratégique.