Akotchaye Okio, commence sa carrière dans la musique en tant qu’artiste au sein du groupe de rap béninois Ardiess. Il poursuit ensuite son parcours le domaine de l’entreprenariat culturel en créant un festival international dédié aux musiques urbaines. Après avoir édité un magazine culturel et siégé au conseil d’administration de l’Ensemble Artistique National du Bénin., il devient Channel Manager Afrique chez Believe Il rejoint la Sacem en 2017 en tant que chargé du développement international pour l’Afrique.
L’activité de la SACEM consiste à collecter les droits d’auteurs et à les redistribuer aux artistes et créateurs. Quelle forme prend votre action en Afrique francophone subsaharienne ?
La mission de la Sacem sur le continent est de contribuer à une gestion collective, rationnelle, de contribuer à une hausse significative de collecte et d’optimiser les droits d’auteur dans l’intérêt des créateurs et des éditeurs. Nous travaillons avec l’ensemble des parties prenantes de l’industrie musicale pour faire avancer la cause des droits d’auteur et la gestion collective sur le continent africain. Cela passe par la sensibilisation des décideurs car il est important aujourd’hui qu’il y ait une vraie volonté collective de mettre en place le droit d’auteur et de veiller à son respect. Nous avons également besoin de sensibiliser les auteurs et de faire preuve de pédagogie pour qu’ils mesurent pleinement les enjeux du droit d’auteur. Pour cela, la Sacem travaille aux côtés des organismes de gestion collective nationaux.
Sur le continent, les attentes des créateurs sont grandes et ces attentes sont légitimes. D’un point de vue global, il va de l’intérêt de la communauté internationale musicale que l’Afrique soit un territoire structuré et bien organisé en termes de gestion collective. Ce sera profitable à la fois pour les créateurs africains mais également pour les créateurs internationaux puisque l’Afrique est consommatrice de musique internationale. Nous n’avons pas la prétention de construire cela seuls, il s’agit de travailler en synergie avec les acteurs locaux, publics et privés ainsi que les acteurs internationaux.
En trois années d’activité, quel bilan pouvez-vous faire ? Les choses évoluent-elles comme vous le souhaitez?
En trois ans, je peux constater que les choses avancent même si le besoin de structuration reste énorme ! Par exemple, sur un territoire comme la Guinée où jusqu’à récemment il n’y avait que la radiodiffusion publique qui était assujettie au droit d’auteur (loi très restrictive datant des années 80). Au moment où le vent démocratique a soufflé sur le continent accompagné par la libéralisation du paysage audiovisuel, il y a eu une floraison de médias privés qui ne payaient pas les droits d’auteur. Une anomalie qui été corrigée récemment. Les choses évoluent donc.
L’Afrique ne représente que 0,8% des collectes des droits d’auteur dans le monde, l’effort reste à fournir mais on sent une plus grande prise de conscience. Au Nigéria par exemple, il existe des fonds publics gérés par la Banque du Nigéria qui sont alloués aux industries culturelles et créatives puisque le pays a compris que ces industries sont des relais de croissance.
Quels sont les moteurs de l’industrie musicale sur le continent ?
Le live et le digital sont les principaux moteurs de l’industrie musicale en Afrique mais malheureusement, nous n’avons pas beaucoup de chiffres sur lesquels nous appuyer. Si on veut construire un bon plaidoyer pour les industries culturelles et créatives, nous avons besoin de chiffres pour pouvoir mesurer le poids économique de ces industries et notamment celle de la musique. C’est essentiel si l’on veut convaincre les décideurs.
L’Afrique anglophone reste la locomotive du continent. En 2017, en Afrique du Sud, le Live représentait près de 57% des revenus de l’industrie musicale. Sur le digital, le Nigéria est un bon exemple : selon l’étude réalisée par PWC, le digital représentait, en 2017, 24 millions de dollars de revenus provenant de la musique pour des revenus totaux de 35 millions de dollars.
Quels sont les principales difficultés à surmonter pour l’Afrique francophone ?
Tous les enjeux du développement de l’industrie musicale sur le continent se résument en un mot : la structuration. Le digital évolue très vite mais demeure très peu encadré. Il n’en est qu’à ses débuts d’où l’importance de structurer l’ensemble de la chaine de valeur. Je me suis rendu compte pendant mes voyages qu’il y a une véritable méconnaissance des métiers de l’industrie musicale par les différents acteurs. Il y a besoin de clarifier tout ça pour bâtir un écosystème viable. L’arrivée des majors contribue notamment à cela puisqu’elles sont un maillon de la chaine.
Les Telco qui sont les acteurs prépondérants du digital, doivent eux aussi jouer un rôle dans le partage équitable de la valeur : ces acteurs qui récupéraient plus de 50% du revenu généré par la musique en ligne commencent à entendre raison., au détriment des DSP locaux qui ont du mal à émerger
Quelles sont les actions menées sur le continent par la SACEM pour le soutien à l’industrie musicale et aux créateurs ?
La Sacem a mis en place un système d’aide à l’auto-production ouvert également aux créateurs africains. Au-delà de ça, nous sommes en train d’appuyer des plateformes de diffusion sur le continent. Nous sommes partenaires de plusieurs événements sur le continent comme le FEMUA qui se déroule en Côte d’Ivoire. Petit à petit nous construisons un maillage permettant la circulation des artistes sur le continent. Nous soutenons également les tournées de certains artistes et nous assurons leur présence sur des évènements à l’international.
L’Afrique regorge de talents musicaux. Malgré tout, le continent ne représente que 2% du business de la musique dans le monde. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Pour moi, c’est un gros paradoxe car la musique imprègne le quotidien de l’Afrique. Ce n’est pas un cliché de dire que toutes les étapes de la vie sur le continent sont rythmées par la musique. On peut donc constater un réel problème de collecte et de respect du droit d’auteur. Si l’on veut s’inscrire dans un développement durable des industries culturelles et créatives sur le continent, il faut assurer un revenu équitable au créateur.